Citations de Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, de Charles-Augustin Sainte-Beuve

14 Citations

Vous parleriez longtemps; il vous dirait son mal,
Vous lui diriez le vôtre, et vos ennuis au bal,
Vos vingt-cinq ans, le vide où leur fuite vous laisse;
Comment aux voeux légers succède la tristesse,
Et ce qui fit qu'un jour votre gaîté changea;
Puis vos loisirs, vos vers, - tout ce qu'il sait déjà;
Il irait au devant des phrases commencées,
Et vous l'écouteriez achever vos pensées.
Lui, sûr d'être compris pour la première fois,
Lisant dans vos regards, émus de votre voix,
Se sentirait moins prompt à rompre un noeud qu'il aime,
A refermer sa tombe, à se clore en lui-même;
Il oublierait qu'il n'est qu'un fantôme incertain,
L'ombre de ce qu'il fût à son riant matin;
Il vivrait, retrouvant un reste de jeune âge:
Les cieux sont plus brillants le soir d'un jour d'orage!
Il rouvrirait son toit au songe amoureux,
Et redeviendrait bon, fidèle et presque heureux.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 25/10/2010

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Italie


Oh! Jure de m'aimer; alors je te veux croire.
Rien n'est sûr ici-bas qu'un humide baiser,
Que le rayon tremblant d'une prunelle noire,
Que de sentir un sein sous la main s'apaiser;

Rien n'est sûr que de voir contre une épaule nue
Se briser en jouant des ondes de cheveux,
De cueillir les soupirs d'une bouche ingénue,
D'écouter succéder le silence aux aveux;

De l'entendre jurer quand tout change autour d'Elle,
Qu'un éternel amour doit pour vous l'enflammer,
Et de jurer aussi qu'on veut mourir fidèle...
Rien n'est sûr ici-bas, rien n'est bon que d'aimer!


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 25/10/2010

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Italie


Pour échapper aux maux que fait la destinée,
Pour jouir ici-bas des fleurs de ma saison,
Et doucement couler cette humaine journée,
Que me faut-il?... Du ciel, de l'onde et du gazon,

Et, quand pâlit au soir la lumière affaiblie,
Une amoureuse voix, qui meurt à mon côté,
Qui dit non bien souvent et bien souvent l'oublie,
Des pleurs dans deux beaux yeux, un beau sein agité.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 25/10/2010

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Après une lecture d'Adolphe


Pour nous, après causer, la volupté suprême,
Ce serait de nous lire un roman tour à tour:
Non pas quelque beauté captive en une tour,
D'éternels souterrains, des spectres et des chaînes,
Mais des romans de coeur pleins d'amoureuses peines,
Où l'art sait retracer, sous l'éclat de nos moeurs,
Ce mal délicieux dont je sens que je meurs,
Et dont tu meurs toi-même, ô ma belle complice,
Et dont mourut aussi Delphine après Clarisse!
Puis, le roman fermé, toujours, d'un air jaloux
Nous dirions: ces amants s'aimèrent moins que nous.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 25/10/2010

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Après une lecture d'Adolphe


Passé vingt ans, quand l'âme aux rêves échappée
S'aperçoit un matin qu'elle s'était trompée,
Et, rejetant l'espoir d'un jeune et frais amour,
Se dit avec effroi qu'il est trop tard d'un jour,
Oh! Pourquoi, quelque part, en l'une des soirées
Où j'aime tant au son des valses adorées,
Au bruit des mots riants sortis des coeurs séduits,
M'asseoir et m'oublier et bercer mes ennuis,
Pourquoi ne pas enfin trouver une âme tendre,
Affligée elle-même et qui saurait m'entendre,
Deux yeux noirs d'où les pleurs auraient coulé longtemps,
Une brune, un peu pâle, ayant bientôt trente ans.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 25/10/2010

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A mr A. de L.


O toi qui sais ce que la terre
Enferme de triste aux humains,
Qui sais la vie et son mystère,
Et qui fréquentes, solitaire,
La nuit, d'invisibles chemins;

Toi qui sais l'âme et ses orages,
Comme un rocher son élément,
Comme un oiseau sait les présages,
Comme un pasteur des premiers ages
Savait d'abord le firmament;

Qui sais le bruit du lac où tombe
Une feuille échappée au bois,
Les bruits d'abeille et de colombe
Et l'océan avec sa trombe,
Et le ciel aux immenses voix.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Le rendez-vous (à mon ami Alfred de M.)


Mais moi, demain, lassé d'un bonheur trop facile,
Retrouvant le dégoût en mon âme indocile,
Moi, qui toujours poursuis en de vaines amours
Un même être rêvé qui m'échappe toujours,
Demain, le coeur saignant d'une plaie éternelle,
Malgré les doux serments relus dans sa prunelle,
Les baisers, les grands bras prêts à me retenir,
Demain, je sortirai pour ne plus revenir;
Car je foule la fleur sitôt qu'elle est ravie,
Et mon bonheur, à moi, n'est pas de cette vie.

Et, dès qu'il est éclos, ce penser odieux,
Comme un oiseau de nuit, vingt fois passe à mes yeux,
Obscurcissant mon ciel de son aile jalouse;
Et, que ce soit la vierge, ou la veuve, ou l'épouse,
Une ombre entre elle et moi, muette, vient s'asseoir,
Et sur ce lit corrompt le plaisir dès ce soir.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Voeu


Pour trois ans seulement, oh! Que je puisse avoir
Sur ma table un lait pur, dans mon lit un oeil noir,
Tout le jour du loisir; rêver avec des larmes;
Vers midi, me coucher à l'ombre des grands charmes;
Voir la vigne courir sur mon toit ardoisé,
Et mon vallon riant sous le coteau boisé;
Chaque soir m'endormir en ma douce folie,
Comme l'heureux ruisseau qui dans mon pré s'oublie;
Ne rien vouloir de plus, ne pas me souvenir,
Vivre à me sentir vivre!... Et la mort peut venir.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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La contredanse


Après dix ans passés, enfin je vous revois;
Après dix ans! C'est vous... Au bal, comme autrefois;
Oh! Venez et dansons; vous êtes belle encore;
Un riche et blanc soleil suit la vermeille aurore,
Et la rose inclinée, ouvrant aux yeux sa fleur,
Mêle un parfum suave à sa molle pâleur.
Laissez-là cet air froid; osez me reconnaître;
Souriez comme aux jours où, sous votre fenêtre,
Ecolier de douze ans, je ne sais quel espoir
Toujours me ramenait, rougissant de vous voir.
Levez ces yeux baissés et ces paupières blondes;
Donnez la main, donnez, et tous deux dans les rondes,
Parmi les pas, les chants, les rires babillards,
Devisons d'autrefois comme font les vieillards.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Le soir de la jeunesse


Car vous n'étiez plus seul; et la nuit étoilée,
Et la sèche bruyère encore échevelée,
Les longs sapins ombreux, les noirs sentiers des bois,
Tout prenait sous vos pas des couleurs et des voix;
Et lorsqu'après avoir marché longtemps ensemble,
Elle attachée à vous comme la feuille au tremble,
Vous tombiez sous un arbre, où la lune à l'entour
Répandait ses rayons comme des pleurs d'amour,
Et qu'elle vous parlait de promesse fidèle
Et de s'aimer toujours l'un l'autre; alors, près d'elle,
Sentant sur votre front ses beaux cheveux courir,
Vous avez clos les yeux et désiré mourir.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Adieux à la poésie


Adieu douleur longue et profonde;
Adieu tant de jours écoulés
A contempler l'écume et l'onde,
A méditer le vent qui gronde,
A pleurer les biens envolés!

Souvent, quand la brume abaissée
Obscurcira le ciel couvert,
Tu brilleras à ma pensée,
Etoile dans ma nuit placée,
O souvenir du mal souffert;

Et durant sa course nouvelle,
Mon âme prête à s'épuiser,
Vers le passé tournant son aile,
Comme une colombe fidèle,
Sur toi viendra se reposer.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Adieux à la poésie


Lieux de repos et de tristesse
Où j'espérais bientôt mourir,
De vous laisser qui donc me presse?
Quelle voix me parle sans cesse
Et de lutter et de souffrir?

C'est qu'on n'a pas pour tout partage
De soupirer et de rêver;
Que sur l'océan sans rivage
Il faut poursuivre son voyage,
Dût-on ne jamais arriver.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Sonnet


Quand l'avenir pour moi n'a pas une espérance,
Quand pour moi le passé n'a pas un souvenir,
Où puisse, dans son vol qu'elle a peine à finir,
Un instant se poser mon âme en défaillance;

Quand un jour pur jamais n'a lui sur mon enfance,
Et qu'à vingt ans ont fui, pour ne plus revenir,
L'Amour aux ailes d'or, que je croyais tenir,
Et la Gloire emportant les hymnes de la France;

Quand la pauvreté seule, au sortir du berceau,
M'a pour toujours marqué de son terrible sceau,
Qu'elle a brisé mes voeux, enchaîné ma jeunesse,

Pourquoi ne pas mourir? De ce monde trompeur
Pourquoi ne pas sortir sans colère et sans peur,
Comme on laisse un ami qui tient mal sa promesse.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Premier amour


Printemps, que me veux-tu? Pourquoi ce doux sourire,
Ces fleurs dans tes cheveux et ces boutons naissants?
Pourquoi dans les bosquets cette voix qui soupire,
Et du soleil d'avril ces rayons caressants?

Printemps si beau, ta vue attriste ma jeunesse;
De biens évanouis tu parles à mon coeur;
Et d'un bonheur prochain ta riante promesse
M'apporte un long regret de mon premier bonheur.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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