Citations de La comédie de la mort, de Théophile Gautier

13 Citations

Villanelle rythmique


Quand viendra la saison nouvelle,
Quand auront disparu les froids,
Tous les deux, nous irons, ma belle,
Pour cueillir le muguet au bois;
Sous nos pieds égrenant les perles,
Que l'on voit au matin trembler,
Nous irons écouter les merles
Siffler.

Le printemps est venu, ma belle,
C'est le mois des amants béni,
Et l'oiseau, satinant son aile,
Dit des vers au rebord du nid.
Oh! Viens donc sur le banc de mousse
Pour parler de nos beaux amours,
Et dis-moi de ta voix si douce :
Toujours!

Loin, bien loin, égarant nos courses,
Faisons fuir le lapin caché
Et le daim au miroir des sources
Admirant son grand bois penché;
Puis chez nous tout joyeux, tout aises,
En panier enlaçant nos doigts,
Revenons rapportant des fraises
Des bois.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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Le premier rayon de mai


Hier j'étais à table avec ma chère belle,
Ses deux pieds sur les miens, assis en face d'elle,
Dans sa petite chambre; ainsi que dans leur nid
Deux ramiers bienheureux que le bon Dieu bénit.
C'était un bruit charmant de verres de fourchettes,
Comme des becs d'oiseaux, picotant les assiettes;
De sonores baisers et de propos joyeux.
L'enfant, pour être à l'aise, et régaler mes yeux,
Avait ouvert sa robe et sous la toile fine
On voyait les trésors de sa blanche poitrine;
Comme les seins d'Isis, aux contours ronds et purs,
Ses beaux seins se dressaient, étincelants et durs.
Et, comme sur des fleurs des abeilles posées,
Sur leurs pointes tremblaient des lumières rosées.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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Romance


Au pays où se fait la guerre,
Mon bel ami s'en est allé;
Il semble à mon cœur désolé
Qu'il ne reste que moi sur terre!
En partant, au baiser d'adieu,
Il m'a pris mon âme à ma bouche.
Qui le tient si longtemps, mon Dieu?
Voilà le soleil qui se couche,
Et moi, toute seule en ma tour,
J'attends encore son retour.

Les pigeons sur le toit roucoulent,
Roucoulent amoureusement;
Avec un son triste et charmant
Les eaux sous les grands saules coulent.
Je me sens tout près de pleurer;
Mon cœur comme un lis plein s'épanche,
Et je n'ose plus espérer.
Voici briller la lune blanche,
Et moi, toute seule en ma tour,
J'attends encore son retour.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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Le sphinx


Dans le Jardin Royal où l'on voit les statues,
Une chimère antique entre toutes me plaît;
Elle pousse en avant deux mamelles pointues.
Dont le marbre veiné semble gonflé de lait.

Son visage de femme est le plus beau du monde;
Son col est si charnu que vous l'embrasseriez;
Mais quand on fait le tour, on voit sa croupe ronde,
On s'aperçoit qu'elle a des griffes à ses pieds.

Les jeunes nourrissons qui passent devant elle,
Tendent leurs petits bras et veulent avec cris
Coller leur bouche ronde à sa dure mamelle;
Mais, quand ils l'ont touchée, ils reculent surpris.

C'est ainsi qu'il en est de toutes nos chimères:
La face en est charmante et le revers bien laid.
Nous leur prenons le sein, mais ces mauvaises mères
N'ont pas pour notre lèvre une goutte de lait.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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Après le bal


Adieu, puisqu'il le faut; adieu, belle nuit blanche,
Nuit d'argent, plus sereine et plus douce qu'un jour!
Ton page noir est là, qui, le poing sur la hanche,
Tient ton cheval en bride et t'attend dans la cour.

Aurora, dans le ciel que brunissaient tes voiles,
Entr'ouvre ses rideaux avec ses doigts rosés;
O nuit, sous ton manteau tout parsemé d'étoiles,
Cache tes bras de nacre au vent froid exposés.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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La chimère


Une jeune chimère, aux lèvres de ma coupe,
Dans l'orgie, a donné le baiser le plus doux
Elle avait les yeux verts, et jusque sur sa croupe
Ondoyait en torrent l'or de ses cheveux roux.

Des ailes d'épervier tremblaient à son épaule;
La voyant s'envoler, je sautai sur ses reins;
Et, faisant jusqu'à moi ployer son cou de saule,
J'enfonçai comme un peigne une main dans ses crins.

Elle se démenait, hurlante et furieuse,
Mais en vain. Je broyais ses flancs dans mes genoux;
Alors elle me dit d'une voix gracieuse,
Plus claire que l'argent : « Maître, où donc allons-nous? »


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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Melancholia


J'aime les vieux tableaux de l'école allemande;
Les vierges sur fond d'or aux doux yeux en amande,
Pâles comme le lis, blondes comme le miel,
Les genoux sur la terre, et le regard au ciel


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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Pastel


J'aime à vous voir en vos cadres ovales,
Portraits jaunis des belles du vieux temps,
Tenant en main des roses un peu pâles,
Comme il convient a des fleurs de cent ans.

Le vent d'hiver, en vous touchant la joue,
A fait mourir vos oeillets et vos lis,
Vous n'avez plus que des mouches de boue
Et sur les quais vous gisez tout salis.

Il est passé le doux règne des belles;
La Parabère avec la Pompadour
Ne trouveraient que des sujets rebelles,
Et sous leur tombe est enterré l'amour.

Vous, cependant, vieux portraits qu'on oublie,
Vous respirez vos bouquets sans parfums,
Et souriez avec mélancolie
Au souvenir de vos galants défunts.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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Pantoum


Les papillons couleur de neige
Volent par essaims sur la mer;
Beaux papillons blancs, quand pourrai-je
Prendre le bleu chemin de l'air?

Savez-vous, ô belle des belles,
Ma bayadère aux yeux de jais,
S'ils me pouvaient prêter leurs ailes,
Dites, savez-vous où j'irais?

Sans prendre un seul baiser aux roses,
À travers vallons et forêts,
J'irais à vos lèvres mi-closes,
Fleur de mon âme, et j'y mourrais.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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La mort dans la vie


Avril, pour m'y coucher, m'a fait un tapis d'herbe;
Le lilas sur mon front s'épanouit en gerbe,
Nous sommes au printemps.
Prenez-moi dans vos bras, doux rêves du poète,
Entre vos seins polis, posez ma pauvre tête
Et bercez-moi longtemps.

Loin de moi, cauchemars, spectres des nuits! Les roses,
Les femmes, les chansons, toutes les belles choses
Et tous les beaux amours,
Voilà ce qu'il me faut. Salut, ô muse antique,
Muse au frais laurier vert, à la blanche tunique
Plus jeune tous les jours!

Brune aux yeux de lotus, blonde à paupière noire,
O Grecque de Milet, sur l'escabeau d'ivoire
Pose tes beaux pieds nus,
Que d'un nectar vermeil la coupe se couronne!
Je bois à ta beauté d'abord, blanche Théone,
Puis aux dieux inconnus.

Ta gorge est plus lascive et plus souple que l'onde;
Le lait n'est pas si pur et la pomme est moins ronde.
Allons, un beau baiser,
Hâtons-nous, hâtons-nous. Notre vie, ô Théone,
Est un cheval ailé que le temps éperonne;
Hâtons-nous d'en user.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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La vie dans la mort


Cette nuit sera longue, ô blanche trépassée,
Avec moi, pour toujours, la mort t'a fiancée;
Ton lit c'est le tombeau.
Voici l'heure où le chien contre la lune aboie,
Où le pâle vampire erre et cherche sa proie,
Où descend le corbeau.

Mon bien-aimé, viens donc! l'heure est déjà passée
Oh! Tiens-moi sur ton cœur, entre tes bras pressée.
J'ai bien peur, j'ai bien froid.
Réchauffe à tes baisers ma bouche qui se glace.
Oh! Viens, je tâcherai de te faire une place
Car le lit est étroit!


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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La vie dans la mort


Ces morts abandonnés sans doute avaient des femmes,
Quelque chose de cher et d'intime; des âmes
Pour y verser la leur;
S'ils étaient éveillés au fond de cette tombe,
Où jamais une larme avec des fleurs ne tombe,
Quelle affreuse douleur!

Sentir qu'on a passé sans laisser plus de marque
Qu'au dos de l'océan le sillon d'une barque;
Que l'on est mort pour tous;
Voir que vos mieux aimés si vite vous oublient,
Et qu'un saule pleureur aux longs bras qui se plient
Seul se plaigne sur vous.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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Portail


Mes vers sont les tombeaux tout brodés de sculptures,
Ils cachent un cadavre, et sous leurs fioritures
Ils pleurent bien souvent en paraissant chanter.

Chacun est le cercueil d'une illusion morte;
J'enterre là les corps que la houle m'apporte
Quand un de mes vaisseaux a sombré dans la mer;

Beaux rêves avortés, ambitions déçues,
Souterraines ardeurs, passions sans issues,
Tout ce que l'existence a d'intime et d'amer.

L'océan tous les jours me dévore un navire,
Un récif, près du bord, de sa pointe déchire
Leurs flancs doublés de cuivre et leur quille de fer.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 20/03/2020

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