Citations de Lettres persanes, de Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

22 Citations

Un particulier peut jouir de l'obscurité où il se trouve; il ne se décrédite que devant quelques gens, il se tient couvert devant les autres; mais un ministre qui manque à la probité a autant de témoins, autant de juges, qu'il y a de gens qu'il gouverne. Oserai-je le dire ? Le plus grand mal que fait un ministre sans probité n'est pas de desservir son prince, et de ruiner son peuple; il y en a un autre, à mon avis, mille fois plus dangereux; c'est le mauvais exemple qu'il donne.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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Je te l'avoue, Usbek, une passion encore plus vive que l'ambition me fit souhaiter de te plaire. Je me vis insensiblement devenir la maîtresse de ton cœur; tu me pris, tu me quittas; tu revins à moi, et je sus te retenir; le triomphe fut tout pour moi, et le désespoir pour mes rivales: il nous sembla que nous fussions seuls dans le monde; tout ce qui nous entourait ne fut plus digne de nous occuper. Plût au ciel que mes rivales eussent eu le courage de rester témoins de toutes les marques d'amour que je reçus de toi ! Si elles avaient vu mes transports, elles auraient senti la différence qu'il y a de mon amour au leur; elles auraient vu que, si elles pouvaient disputer avec moi de charmes, elles ne pouvaient pas disputer de sensibilité... Mais où suis-je ? Où m'emmène ce vain récit ? C'est un malheur de n'être point aimée; mais c'est un affront de ne l'être plus.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à charge: je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et, quoique j'aie très-bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d'une grande ville, où je n'étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l'habit persan, et à en endosser un à l'européenne, pour voir s'il resterait encore, dans ma physionomie, quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement. Libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre, en un instant, l'attention et l'estime publique; car j'entrai tout à coup dans un néant affreux.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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Tu as lu les historiens: fais-y bien attention; presque toutes les monarchies n'ont été fondées que sur l'ignorance des arts, et n'ont été détruites que parce qu'on les a trop cultivés.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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Tu sais que, depuis l'invention de la poudre, il n'y a plus de place imprenable; c'est-à-dire, Usbek, qu'il n'y a plus d'asile sur la terre contre l'injustice et la violence. Je tremble toujours qu'on ne parvienne, à la fin, à découvrir
quelque secret qui fournisse une voie plus abrégée pour faire périr les hommes, détruire les peuples et les nations entières.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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Mais, quoique ces invincibles ennemis du travail fassent parade d'une tranquillité philosophique, ils ne l'ont pourtant pas dans le cœur; car ils sont toujours amoureux. Ils sont les premiers hommes du monde pour mourir de langueur sous la fenêtre de leurs maîtresses; et tout Espagnol qui n'est pas enrhumé ne saurait passer pour galant.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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Car il faut savoir que lorsqu'un homme a un certain mérite en Espagne, comme, par exemple, quand il peut ajouter aux qualités dont je viens de parler celle d'être le propriétaire d'une grande épée, ou d'avoir appris de son père l'art de faire jurer une discordante guitare, il ne travaille plus: son honneur s'intéresse au repos de ses membres. Celui qui reste assis dix heures par jour obtient précisément la moitié plus de considération qu'un autre qui n'en reste que cinq, parce que c'est sur les chaises que la noblesse s'acquiert.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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Les Français ne parlent presque jamais de leurs femmes: c'est qu'ils ont peur d'en parler devant des gens qui les connaissent mieux qu'eux. Il y a, parmi eux, des hommes très-malheureux que personne ne console, ce sont les maris jaloux; il y en a que tout le monde hait, ce sont les maris jaloux; il y en a que tous les hommes méprisent, ce sont encore les maris jaloux.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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La fureur de la plupart des Français, c'est d'avoir de l'esprit; et la fureur de ceux qui veulent avoir de l'esprit, c'est de faire des livres. Cependant il n'y a rien de si mal imaginé: la nature semblait avoir sagement pourvu à ce que les sottises des hommes fussent passagères; et les livres les immortalisent. Un sot devrait être content d'avoir ennuyé tous ceux qui ont vécu avec lui: il veut encore tourmenter les races futures; il veut que sa sottise triomphe de l'oubli, dont il aurait pu jouir comme du tombeau; il veut que la postérité soit informée qu'il a vécu, et qu'elle sache à jamais qu'il a été un sot.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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Je trouve, Ibben, la Providence admirable dans la manière dont elle a distribué les richesses. Si elle ne les avait accordées qu'aux gens de bien, on ne les aurait pas assez distinguées de la vertu, et on n'en aurait plus senti tout le néant. Mais quand on examine qui sont les gens qui en sont les plus chargés, à force de mépriser les riches, on vient enfin à mépriser les richesses.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 17/08/2015

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Le désir de la gloire n'est point différent de cet instinct que toutes les créatures ont pour leur conservation. Il semble que nous augmentons notre être lorsque nous pouvons le porter dans la mémoire des autres; c'est une nouvelle vie que nous acquérons, et qui nous devient aussi précieuse que celle que nous avons reçue du ciel.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 17/08/2015

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Les hommes peuvent faire des injustices, parce qu'ils ont intérêt de les commettre, et qu'ils préfèrent leur propre satisfaction à celle des autres. C'est toujours par un retour sur eux-mêmes qu'ils agissent: nul n'est mauvais gratuitement; il faut qu'il y ait une raison qui détermine; et cette raison est toujours une raison d'intérêt.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 17/08/2015

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Il y a ici une maison où l'on met les fous: on croirait d'abord qu'elle est la plus grande de la ville; non: le remède est bien petit pour le mal. Sans doute que les Français, extrêmement décriés chez leurs voisins, enferment quelques fous dans une maison, pour persuader que ceux qui sont dehors ne le sont pas.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/08/2015

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Je me trouvai l'autre jour dans une compagnie où je vis un homme bien content de lui. Dans un quart d'heure, il décida trois questions de morale, quatre problèmes historiques, et cinq points de physique. Je n'ai jamais vu un décisionnaire si universel; son esprit ne fut jamais suspendu par le moindre doute. On laissa les sciences; on parla des nouvelles du temps: il décida sur les nouvelles du temps. Je voulus l'attraper, et je dis en moi-même: il faut que je me mette dans mon fort; je vais me réfugier dans mon pays. Je lui parlai de la Perse; mais à peine lui eus-je dit quatre mots, qu'il me donna deux démentis, fondés sur l'autorité de messieurs Tavernier et Chardin. Ah! Bon Dieu, dis-je en moi-même, quel homme est-ce là? Il connaîtra tout à l'heure les rues d'Ispahan mieux que moi! Mon parti fut bientôt pris: je me tus, je le laissai parler, et il décide encore.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/08/2015

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Il me semble, Usbek, que nous ne jugeons jamais des choses que par un retour secret que nous faisons sur nous-mêmes. Je ne suis pas surpris que les nègres peignent le diable d'une blancheur éblouissante, et leurs dieux noirs comme du charbon; que la Vénus de certains peuples ait des mamelles qui lui pendent jusqu'aux cuisses; et qu'enfin tous les idolâtres aient représenté leurs dieux avec une figure humaine, et leur aient fait part de toutes leurs inclinations. On a dit fort bien que, si les triangles faisaient un dieu, ils lui donneraient trois côtés.
Mon cher Usbek, quand je vois des hommes qui rampent sur un atome, c'est-à-dire la terre, qui n'est qu'un point de l'univers, se proposer directement pour modèles de la Providence, je ne sais comment accorder tant d'extravagance avec tant de petitesse.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 13/08/2015

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Après ce que je t'ai dit des moeurs de ce pays-ci, tu t'imagines facilement que les Français ne s'y piquent guère de constance. Ils croient qu'il est aussi ridicule de jurer à une femme qu'on l'aimera toujours, que de soutenir qu'on se portera toujours bien, ou qu'on sera toujours heureux. Quand ils promettent à une femme qu'ils l'aimeront toujours, ils supposent qu'elle, de son côté, leur promet d'être toujours aimable; et, si elle manque à sa parole, ils ne se croient plus engagés à la leur.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 11/08/2015

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Je vois, de tous côtés, des gens qui parlent sans cesse d'eux-mêmes; leurs conversations sont un miroir qui présente toujours leur impertinente figure; ils vous parleront des moindres choses qui leur sont arrivées, et ils veulent que l'intérêt qu'ils y prennent les grossisse à vos yeux; ils ont tout fait, tout vu, tout dit, tout pensé; ils sont un modèle universel, un sujet de comparaisons inépuisable, une source d'exemples qui ne tarit jamais. Oh! Que la louange est fade lorsqu'elle réfléchit vers le lieu d'où elle part!


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 11/08/2015

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Il y a, parmi nous, des mariages heureux et des femmes dont la vertu est un gardien sévère. Les gens dont nous parlons goûtent entre eux une paix qui ne peut être troublée; ils sont aimés et estimés de tout le monde; il n'y a qu'une chose: c'est que leur bonté naturelle leur fait recevoir chez eux toute sorte de monde; ce qui fait qu'ils ont quelquefois mauvaise compagnie. Ce n'est pas que je les désapprouve: il faut vivre avec les hommes tels qu'ils sont; les gens qu'on dit être de si bonne compagnie ne sont souvent que ceux dont les vices sont plus raffinés; et peut-être en est-il comme des poisons, dont les plus subtils sont aussi les plus dangereux.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 11/08/2015

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Je voudrais bannir les pompes funèbres. Il faut pleurer les hommes à leur naissance, et non pas à leur mort. A quoi servent les cérémonies, et tout l'attirail lugubre qu'on fait paraître à un mourant dans ses derniers moments, les larmes même de sa famille, et la douleur de ses amis, qu'à lui exagérer la perte qu'il va faire?
Nous sommes si aveugles, que nous ne savons quand nous devons nous affliger, ou nous réjouir; nous n'avons presque jamais que de fausses tristesses, ou de fausses joies.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 10/08/2015

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Il y a de certaines vérités qu'il ne suffit pas de persuader, mais qu'il faut encore faire sentir; telles sont les vérités de morale.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 10/08/2015

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J'ai détaché ces premières lettres, pour essayer le goût du public: j'en ai un grand nombre d'autres dans mon portefeuille, que je pourrai lui donner dans la suite.
Mais c'est à condition que je ne serai pas connu; car, si l'on vient à savoir mon nom, dès ce moment je me tais. Je connais une femme qui marche assez bien, mais qui boite dès qu'on la regarde. C'est assez des défauts de l'ouvrage, sans que je présente encore à la critique ceux de ma personne. Si l'on savait qui je suis, on dirait: son livre jure avec son caractère; il devrait employer son temps à quelque chose de mieux: cela n'est pas digne d'un homme grave. Les critiques ne manquent jamais ces sortes de réflexions, parce qu'on les peut faire sans essayer beaucoup son esprit.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 10/08/2015

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Il faut pleurer les hommes à leur naissance, et non pas à leur mort.


Par: Charles-Louis de Secondat (Montesquieu)

Ajoutée par Savinien le 11/07/2011