Citations de Les charmeuses, de André Lemoyne

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Dormeuse


Le soleil du matin tombe en bruine d'or
A travers les rideaux de blanche mousseline:
C'est comme un fin brouillard de lumière en sourdine
Éclairant l'oreiller d'une blonde qui dort.

Les cheveux, déroulés comme un torrent de soie
Riche de tous ses flots trop longtemps contenus,
Débordent sur l'épaule et baisent les seins nus
De la femme qui rêve... et sourit dans sa joie.

Elle s'épanouit sous des regards aimés;
L'amoureux ébloui contemple sa dormeuse,
Écoutant respirer la paisible charmeuse
Qui, dans un songe bleu, sourit les yeux fermés.

A travers les grands cils de ses paupières closes,
Il voudrait voir un seul de ses rêves charmants!
Quelle image apparaît à ses beaux yeux dormants?
Cueille-t-elle des lis, des bluets ou des roses?

Le sein veiné d'azur s'agite... Elle a parlé
(La parole n'est pas un murmure d'abeille);
Un mot s'est échappé de sa bouche vermeille,
Un nom d'homme inconnu, très-bien articulé!

Nom sonore et vibrant dont toutes les syllabes
Comme un timbre d'or pur ont clairement tinté.
- Ce n'est pas lui qui rêve... Il a trop écouté. -
Il n'est pas endormi dans les contes arabes.

Muet, anéanti, devant ce frais sommeil
Qui laisse voir le fond d'une pensée intime,
Sur la femme penché comme sur un abîme,
Il retient son haleine, épiant le réveil.

Mais toute à son bonheur la dormeuse paisible,
Comme souriant d'aise à l'écho de sa voix,
Répète le nom d'homme une seconde fois,
Et voici l'amoureux qui jette un cri terrible.

La blonde ouvre ses yeux divins : « Si tu savais...
(Lui dit-elle tout bas en lui baisant l'oreille)
- Dieu voit d'en haut la femme heureuse qui sommeille
Par les sentiers fleuris du printemps je rêvais. -

Tu n'as pas vu de fleurs si richement écloses...
Avril, mai, juin, juillet... N'as-tu pas deviné?
J'ai trouvé le beau nom de notre premier-né,
Tout en cueillant des lis, des bluets et des roses! »


Par: André Lemoyne

Ajoutée par Savinien le 27/03/2014

 

Fleurs d'Avril


Le bouvreuil a sifflé dans l'aubépine blanche;
Les ramiers, deux à deux, ont au loin roucoulé,
Et les petits muguets, qui sous bois ont perlé,
Embaument les ravins où bleuit la pervenche.

Sous les vieux hêtres verts, dans un frais demi-jour,
Les heureux de vingt ans, les mains entrelacées,
Echangent, tout rêveurs, des trésors de pensées
Dans un mystérieux et long baiser d'amour.

Les beaux enfants naïfs, trop ingénus encore
Pour comprendre la vie et ses enchantements,
Sont émus en plein coeur de chauds pressentiments,
Comme aux rayons d'avril les fleurs avant d'éclore.

Et l'homme ancien qui songe aux printemps d'autrefois,
Oubliant pour un jour le nombre des années,
Ecoute la voix d'or des heures fortunées
Et va silencieux en pleurant sous les bois.


Par: André Lemoyne

Ajoutée par Savinien le 27/03/2014