Citations de Poussières, de Jules Barbey d'Aurevilly

2 Citations

Un amour de jupe, à la comtesse de P.


Si mon coeur faisait ses mémoires
Je crois que j'y mettrais ceci:
« Elle avait des dentelles noires
Avec un jupon cramoisi. »

C'était ravissant! - Les donzelles
De ce soir et de ce salon,
Se pâmaient devant ces dentelles...
Mais, moi, j'aimais mieux le jupon.

Ce jupon, c'était ma folie!
Je le trouvais délicieux...
Je n'avais rien vu, de ma vie,
Qui m'enchantât autant les yeux.

Et je m'effrayais dans mon âme
De ce charme de la couleur.
La jupe est si près de la femme,
Et les yeux sont si près du coeur!

L'avait-elle vu ?... Je l'ignore,
Je ne sais... Mais je sais aussi
Qu'hier, elle est venue encore
Avec son jupon cramoisi!

Et pour plaire à mon goût sauvage,
Elle avait, de ses doigts charmants,
Oté, point par point, l'étalage
Des dentelles de ses volants!

J'avais donc occupé son âme
(Occuper l'âme, c'est l'amour
Pour cette rêveuse, - la femme!),
Je l'avais occupée... Un jour.

Le temps d'enlever ces dentelles
Qui, pour les femmes, talisman,
Faisaient pousser aux demoiselles
De véritables cris de paon!

En les ôtant que pensait-elle?
Disait-elle, baissant les yeux:
« Pour elles, je serai moins belle,
Mais à Lui, - je lui plairai mieux! »

Mystère charmant qui m'occupe!
A-t-elle dit en son émoi:
« Si l'amour qu'il a pour ma jupe,
De ma jupe passait à moi! »

Reste impénétrable, ô mystère!
Parfois à leur esprit charmé
On est assez heureux pour plaire...
Mais pas assez pour être aimé...

Et si c'était là mon histoire!
Si je crus être aimé! Mais si,
Madame, j'eus tort de le croire?
Remettez la dentelle noire
A votre jupon cramoisi!


Par: Jules Barbey d'Aurevilly

Extrait de: Poussières (1854)

Ajoutée par Savinien le 05/12/2012

 

Je vivais sans coeur


Je vivais sans coeur, tu vivais sans flamme,
Incomplets, mais faits pour un sort plus beau;
Tu pris de mes sens, je pris de ton âme,
Et tous deux ainsi nous nous partageâmes:
Mais c'est toi qui fis le meilleur cadeau!

Oui! C'est toi, merci... C'est toi, sainte femme,
Qui m'as fait sentir le profond amour...
Je mis de ma nuit dans ta blancheur d'âme,
Mais toi, dans la mienne, as mis le grand jour!

Je tombais, tombais... Cet ange fidèle
Qui suit les coeurs purs ne me suivait pas...
Pour me soutenir me manquait son aile...
Mais Dieu m'entr'ouvrit ton coeur et tes bras!

Et j'aime tes bras... Tes bras mieux qu'une aile;
Car une aile, hélas! Sert à nous quitter:
L'ange ailé s'en va, lorsque Dieu l'appelle...
Tandis que des bras servent à rester!


Par: Jules Barbey d'Aurevilly

Extrait de: Poussières (1854)

Ajoutée par Savinien le 05/12/2012