Citations de Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, de Emile Auguste Chartier (Alain)

3 Citations

Il y a une forte raison de ne pas dire au premier arrivant ce qui vient à l'esprit, c'est qu'on ne le pense point; aussi n'y a-t-il rien de plus trompeur que cette sincérité de premier mouvement. Il faut plus de précautions dans le jeu des paroles, d'où dépend souvent l'avenir des autres et de soi. Il n'y a rien de plus commun que de s'obstiner sur ce que l'on a dit par fantaisie; mais quand on saurait pardonner à soi-même, et, mieux encore faire oublier ce qui fut mal dit et mal pensé, on ne saurait toujours pas l'effacer dans la mémoire de l'autre; car on dit trop que les hommes croient aisément ce qui les flatte; mais je dirais bien qu'ils croient plus aisément encore ce qui les blesse.


Par: Emile Auguste Chartier (Alain)

Ajoutée par jlm le 19/10/2013

 

J'avoue qu'il ne manque pas de malheurs réels, et que celui qui les attend ne tarde pas à avoir raison; mais s'il y pense trop, il trouve de plus un mal certain et immédiat dans son corps inquiet; et ce pressentiment aggrave la tristesse et ainsi se vérifie aussitôt; c'est une porte d'enfer. Par bonheur la plupart en sont détournés par d'autres causes et n'y reviennent que dans la solitude oisive. Contre quoi ce n'est pas un petit remède de comprendre que l'on est toujours triste si l'on y consent. Par où l'on voit que l'appétit de mourir est au fond de toute tristesse et de toute passion, et que la crainte de mourir n'y est pas contraire. Il y a plus d'une manière de se tuer, dont la plus commune est de s'abandonner. La crainte de se tuer, jointe à l'idée fataliste, est l'image grossie de toutes nos passions, et souvent leur dernier effet. Dès que l'on pense, il faut apprendre à ne pas mourir.


Par: Emile Auguste Chartier (Alain)

Ajoutée par jlm le 07/02/2013

 

L'homme, par nature, n'aimerait que lui, et ce serait la sauvagerie; mais les liens de société l'obligent à compter avec les autres, et à les aimer pour lui, tant qu'enfin il arrive à croire qu'il les aime pour eux. Il existe un bon nombre d'ouvrages, assez ingénieux, où l'on explique assez bien le passage de l'amour de soi à l'amour d'autrui; et j'avoue que si l'on commençait par la solitude et l'amour de soi, on arriverait bientôt à aimer ses semblables. Mais ce n'est qu'une mauvaise algèbre. Autant qu'on connaît le sauvage, il vit en cérémonie et adore la vie commune; il est aussi peu égoïste que l'on voudra. L'égoïsme est un fruit de la civilisation, non de sauvagerie; et l'altruisme aussi son correctif; mais l'un et l'autre sont plutôt des mots que des êtres.


Par: Emile Auguste Chartier (Alain)

Ajoutée par jlm le 01/01/2013