Citations de Obermann, de Etienne Pivert de Senancour

23 Citations

Pour n'être pas vraiment malheureux, il ne faut qu'un bien; on le nomme raison, sagesse ou vertu. Pour être satisfait je crois qu'il en faut quatre: beaucoup de raison, de la santé, quelque fortune, et peu de ce bonheur qui consiste à avoir le sort pour soi. A la vérité, chacun de ces trois autres biens n'est rien sans la raison, et la raison est beaucoup sans eux. Elle peut les donner enfin, ou consoler de leur perte; mais eux ne la donnent pas, et ce qu'ils donnent sans elle n'a qu'un éclat extérieur, une apparence dont le coeur n'est pas longtemps abusé. Avouons que l'on est bien sur la terre quand on peut et qu'on sait. Pouvoir sans avoir, est fort dangereux; savoir sans pouvoir, est inutile et triste.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 20/12/2012

 

Heureux celui qui ne vit pas seul, et qui n'a pas à gémir de ne point vivre seul.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 19/12/2012

 

Je me rappelle que la vie m'impatientait, et qu'il y a eu un moment où je la supportais comme un mal qui n'avait plus que quelques mois à durer. Mais ce souvenir me paraît maintenant celui d'une chose étrangère à moi; il me surprendrait même si la mobilité dans mes sensations pouvait me surprendre. Je ne vois pas du tout pourquoi partir, comme je ne vois pas bien pourquoi rester. Je suis las; mais dans ma lassitude, je trouve qu'on n'est pas mal quand on se repose. La vie m'ennuie et m'amuse. Venir, s'élever, faire grand bruit, s'inquiéter de tout, mesurer l'orbite des comètes; et, après quelques jours, se coucher là sous l'herbe d'un cimetière: cela me semble assez burlesque pour être vu jusqu'au bout.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 19/12/2012

 

Le thé est d'un grand secours pour s'ennuyer d'une manière calme. Entre les poisons un peu lents qui font les délices de l'homme, je crois que c'est un de ceux qui conviennent le mieux à ses ennuis. Il donne une émotion faible et soutenue: comme elle est exempte des dégoûts du retour, elle dégénère en une habitude de paix et d'indifférence, en une faiblesse qui tranquillise le coeur que ses besoins fatigueraient, et nous débarrasse de notre force malheureuse.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 19/12/2012

 

Celui qui est homme sait aimer l'amour sans oublier que l'amour n'est qu'un accident de la vie: et quand il aura ses illusions, il en jouira, il les possédera; mais sans oublier que les vérités les plus sévères sont encore avant les illusions les plus heureuses.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 13/12/2012

 

Heureux celui qui possède ce que l'homme doit chercher, et qui jouit de tout ce que l'homme doit sentir! Heureux encore, dit-on, celui qui ne cherche rien, ne sent rien, n'a besoin de rien, et pour qui exister c'est vivre.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 13/12/2012

 

La grâce de la nature est dans le mouvement d'un bras; l'harmonie du monde est dans l'expression d'un regard. C'est pour l'amour que la lumière du matin vient éveiller les êtres et colorer les cieux; pour lui les feux de midi font fermenter la terre humide sous la mousse des forêts; c'est à lui que le soir destine l'aimable mélancolie de ses lueurs mystérieuses. Cette fontaine est celle de Vaucluse, ces rochers ceux de Meillerie, cette avenue celle des pamplemousses. Le silence protège les rêves de l'amour; le mouvement des eaux pénètre de sa douce agitation; la fureur des vagues inspire ses efforts orageux, et tout commandera ses plaisirs quand la nuit sera douce, quand la lune embellira la nuit, quand la volupté sera dans les ombres et la lumière, dans la solitude, dans les airs et les eaux et la nuit.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 13/12/2012

 

L'ambition est ce feu stérile qui brûle sous les glaces, qui consume sans rien animer, qui creuse d'immenses cavernes, qui ébranle sourdement, éclate en ouvrant des abîmes, et laisse un siècle de désolation sur la contrée qu'étonna sa lumière d'une heure.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 12/12/2012

 

J'avoue qu'il est naturel à l'homme de se croire moins borné, moins fini, de se croire plus grand que sa vie présente, lorsqu'il arrive qu'une perception subite lui montre les contrastes et l'équilibre, le lien, l'organisation de l'univers. Ce sentiment lui paraît comme une découverte d'un monde à connaître, comme un premier aperçu de ce qui pourrait lui être dévoilé un jour.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 12/12/2012

 

Un plaisir qui s'offre sans être un peu cherché par le désir perd souvent de sa grâce, comme un bien trop attendu a laissé passer l'instant qui lui donnait du mérite.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 12/12/2012

 

C'est une bien douce volupté de prolonger la jouissance en éludant le désir, de ne point précipiter sa joie, de ne point user sa vie. L'on ne jouit bien du présent que lorsqu'on attend un avenir au moins égal, et l'on perd tout bonheur si l'on veut être absolument heureux.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 03/12/2012

 

Cependant la vie n'est pas odieuse en général. Elle a ses douceurs pour l'homme de bien: il s'agit seulement d'imposer à son coeur le repos que l'âme a conservé quand elle est restée juste. On s'effraie de n'avoir plus d'illusions; on se demande avec qui l'on remplira ses jours. C'est une erreur: il ne s'agit pas d'occuper son coeur, mais de parvenir à le distraire sans l'égarer; et quand l'espérance n'est plus, il nous reste, pour arriver jusqu'à la fin, un peu de curiosité et quelques habitudes.
C'est assez pour atteindre la nuit: le sommeil est naturel, quand on n'est pas agité.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 03/12/2012

 

Qu'ils sont vains les soins de l'homme! Quelles risibles sollicitudes pour des incidents d'une heure! Quels tourments insensés pour arranger les détails de cette vie qu'un souffle du temps va dissiper! Regarder, jouir de ce qui se passe, imaginer, s'abandonner: ce serait là tout notre être. Mais régler, établir, connaître posséder; que de démence!


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 03/12/2012

 

La paix est le partage d'un homme sur dix mille. Pour le bonheur, il éveille, il agite; on le veut, on le cherche, on s'épuise; il est vrai qu'on l'espère, et peut-être on l'aurait, si la mort ou la décrépitude ne venaient avant lui.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par administrator le 21/11/2012

 

J'ai tout examiné, tout connu; si je n'ai pas tout éprouvé, j'ai du moins tout pressenti. Vos douleurs ont flétri mon âme; elles sont intolérables parce qu'elles sont sans but. Vos plaisirs sont illusoires, fugitifs, un jour suffit pour les connaître et les quitter. J'ai cherché en moi le bonheur, mais sans fanatisme; j'ai vu qu'il n'était pas fait pour l'homme seul: je le proposai à ceux qui m'environnaient, ils n'avaient pas le loisir d'y songer. J'interrogeai la multitude que flétrit la misère, et les privilégiés que l'ennui opprime; ils m'ont dit, nous souffrons aujourd'hui, mais nous jouirons demain. Pour moi je sais que le jour qui se prépare va marcher sur la trace du jour qui s'écoule. Vivez, vous que peut tromper encore un prestige heureux; mais moi, fatigué de ce qui peut égarer l'espoir, sans attente et presque sans désir, je ne dois plus vivre. Je juge la vie comme l'homme qui descend dans la tombe, qu'elle s'ouvre donc pour moi: reculerais-je le terme quand il est déjà atteint? La nature offre des illusions à croire et à aimer; elle ne lève le voile qu'au moment marqué pour la mort: elle ne l'a pas levé pour vous, vivez: elle l'a levé pour moi, ma vie n'est déjà plus.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par administrator le 20/11/2012

 

Je commence à sentir que j'avance dans la vie. Ces impressions délicieuses, ces émotions subites qui m'agitaient autrefois et m'entraînaient si loin d'un monde de tristesse, je ne les retrouve plus qu'altérées et affaiblies. [...] Je commence à voir ce qui est utile, ce qui est commode, et non plus ce qui est beau.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par administrator le 20/11/2012

 

Combien peu il faut à l'homme qui veut seulement vivre: et combien il faut à celui qui veut vivre content et employer ses jours! Celui-là serait bien plus heureux qui aurait la force de renoncer au bonheur, et de voir qu'il est trop difficile: mais faut-il donc qu'il reste toujours seul? La paix elle-même est un triste bien si on n'espère point la partager.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par administrator le 20/11/2012

 

Il est des jours pour les douleurs: nous aimons à les chercher en nous, à suivre leurs profondeurs, et à rester surpris devant leurs proportions démesurées: nous essayons, du moins dans les misères humaines, cet infini que nous voulons donner à notre ombre avant qu'un souffle du temps l'efface.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 13/11/2012

 

Je n'avais point appris alors que l'on buvait l'oubli des douleurs. Maintenant je suis homme, je connais l'amertume qui navre, et les dégoûts qui ôtent les forces: je sais respecter celui dont le premier besoin est de cesser un moment de gémir. Je suis indigné quand je vois des hommes à qui la vie est facile, reprocher durement à un pauvre qu'il boit du vin, et qu'il n'a pas de pain. Quelle âme ont donc reçue ces gens-là qui ne connaissent pas de plus grande misère que d'avoir faim?


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 13/11/2012

 

J'avais besoin de bonheur. J'étais né pour souffrir. Vous connaissez ces jours sombres, voisins de frimas, dont l'aurore elle-même épaississant les brumes, ne commence la lumière que par des traits sinistres d'une couleur ardente sur les nues amoncelées. Ce voile ténébreux, ces rafales orageuses, ces lueurs pâles, ces sifflements à travers les arbres qui plient et frémissent, ces déchirements prolongés semblables à des gémissements funèbres: voilà le matin de la vie. A midi, des tempêtes plus froides et plus continues; le soir, des ténèbres plus épaisses: et la journée de l'homme est achevée.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 13/11/2012

 

Pour moi, j'aime les choses existantes; je les aime comme elles sont. Je ne désire, je ne cherche, je n'imagine rien hors de la nature. [...] Comme il ne me faut point des choses difficiles ou privilégiées, il ne me faut pas non plus des choses nouvelles, changeantes, multipliées. Ce qui m'a plu, me plaira toujours; ce qui a suffi à mes besoins, leur suffira dans tous les temps: le jour semblable au jour qui fut heureux, est encore un jour heureux pour moi; [...] Si je suis satisfait aujourd'hui, je le serai demain, je le serai toute l'année, je le serai toute la vie, mes voeux toujours simples, seront toujours remplis.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 07/11/2012

 

Les torts d'un ami peuvent entrer dans notre pensée, mais non dans nos sentiments.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 07/11/2012

 

C'est dans l'indépendance des choses, comme dans le silence des passions, que l'on peut étudier son être.


Par: Etienne Pivert de Senancour

Extrait de: Obermann (1804)

Ajoutée par Savinien le 07/11/2012