Citations de Emaux et camées, de Théophile Gautier

18 Citations

Plaintive tourterelle


Plaintive tourterelle,
Qui roucoule toujours,
Veux-tu prêter ton aile
Pour servir mes amours!

Comme toi, pauvre amante,
Bien loin de mon ramier,
Je pleure et me lamente
Sans pouvoir l'oublier.

Vole, et que ton pied rose
Sur l'arbre ou sur la tour
Jamais ne se repose,
Car je languis d'amour.

Evite, ô ma colombe,
La halte des palmiers
Et tous les toits où tombe
La neige des ramiers.

Va droit sur sa fenêtre,
Près du palais du roi;
Donne-lui cette lettre
Et deux baisers pour moi.

Puis sur mon sein en flamme,
Qui ne peut s'apaiser,
Reviens, avec son âme,
Reviens te reposer.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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Dernier voeu


Voilà longtemps que je vous aime:
- L'aveu remonte à dix-huit ans! -
Vous êtes rose, je suis blême;
J'ai les hivers, vous les printemps.

Des lilas blancs de cimetière
Près de mes tempes ont fleuri;
J'aurai bientôt la touffe entière
Pour ombrager mon front flétri.

Mon soleil pâli qui décline
Va disparaître à l'horizon,
Et sur la funèbre colline
Je vois ma dernière maison.

Oh! Que de votre lèvre il tombe
Sur ma lèvre un tardif baiser,
Pour que je puisse dans ma tombe,
Le coeur tranquille, reposer!


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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La fleur qui fait le printemps


Il me faut retourner encore
Au cercle d'enfer où je vis;
Marronniers, pressez-vous d'éclore
Et d'éblouir mes yeux ravis.

Vous pouvez sortir pour la fête
Vos girandoles sans péril.
Un ciel bleu luit sur votre faîte
Et déjà mai talonne avril.

Par pitié, donnez cette joie
Au poète dans ses douleurs,
Qu'avant de s'en aller, il voie
Vos feux d'artifice de fleurs.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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La raison dit?: « Vague fumée,
Où l'on croit voir ce qu'on rêva,
Ombre au gré du vent déformée,
Bulle qui crève et qui s'en va! »

Le sentiment répond: « Qu'importe!
Qu'est-ce après tout que la beauté,
Spectre charmant qu'un souffle emporte,
Et qui n'est rien, ayant été!

A l'Idéal ouvre ton âme;
Mets dans ton cœur beaucoup de ciel,
Aime une nue, aime une femme,
Mais aime! - C'est l'essentiel! »


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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La nue


A l'horizon monte une nue,
Sculptant sa forme dans l'azur:
On dirait une vierge nue
Émergeant d'un lac au flot pur.

Debout dans sa conque nacrée,
Elle vogue sur le bleu clair,
Comme une Aphrodite éthérée,
Faite de l'écume de l'air.

On voit onder en molles poses
Son torse au contour incertain,
Et l'aurore répand des roses
Sur son épaule de satin.


Par: Théophile Gautier

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La fellah


Caprice d'un pinceau fantasque
Et d'un impérial loisir,
Votre fellah, sphinx qui se masque,
Propose une énigme au désir.

C'est une mode bien austère
Que ce masque et cet habit long;
Elle intrigue par son mystère
Tous les Oedipes du Salon.

L'antique Isis légua ses voiles
Aux modernes filles du Nil;
Mais, sous le bandeau, deux étoiles
Brillent d'un feu pur et subtil.

Ces yeux, qui sont tout un poème
De langueur et de volupté,
Disent, résolvant le problème,
« Sois l'amour, je suis la beauté. »


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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La rose-thé


La plus délicate des roses
Est, à coup sûr, la rose-thé.
Son bouton aux feuilles mi-closes
De carmin à peine est teinté.

On dirait une rose blanche
Qu'aurait fait rougir de pudeur,
En la lutinant sur la branche,
Un papillon trop plein d'ardeur.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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Les accroche-coeurs


Ravivant les langueurs nacrées
De tes yeux battus et vainqueurs,
En mèches de parfum lustrées
Se courbent deux accroche-coeurs.

A voir s'arrondir sur tes joues
Leurs orbes tournés par tes doigts,
On dirait les petites roues
Du char de Mab fait d'une noix;

Ou l'arc de l'Amour, dont les pointes,
Pour une flèche à décocher,
En cercle d'or se sont rejointes
À la tempe du jeune archer.

Pourtant un scrupule me trouble:
Je n'ai qu'un coeur, alors pourquoi,
Coquette, un accroche-coeur double?
Qui donc y pends-tu près de moi?


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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Bûchers et tombeaux


Mais voile-toi, masque sans joues,
Comédien que le ver mord,
Depuis assez longtemps tu joues
Le mélodrame de la Mort.

Reviens, reviens, bel Art antique,
De ton paros étincelant
Couvrir ce squelette gothique;
Dévore-le, bûcher brûlant!

Si nous sommes une statue
Sculptée à l'image de Dieu,
Quand cette image est abattue,
Jetons-en les débris au feu.

Toi, forme immortelle, remonte
Dans la flamme aux sources du Beau,
Sans que ton argile ait la honte
Et les misères du tombeau!


Par: Théophile Gautier

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Odelette anacréontique


Pour que je t'aime, ô mon poète,
Ne fais pas fuir par trop d'ardeur
Mon amour, colombe inquiète,
Au ciel rose de la pudeur.

L'oiseau qui marche dans l'allée
S'effraye et part au moindre bruit;
Ma passion est chose ailée
Et s'envole quand on la suit.


Par: Théophile Gautier

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Tristesse en mer


A la mer, spectres de mes rêves,
Regrets aux mortelles pâleurs
Dans un cœur rouge ayant sept glaives,
Comme la Mère des douleurs!

Chaque fantôme plonge et lutte
Quelques instants avec le flot
Qui sur lui ferme sa volute
Et l'engloutit dans un sanglot.

Lest de l'âme, pesant bagage,
Trésors misérables et chers,
Sombrez, et dans votre naufrage
Je vais vous suivre au fond des mers!


Par: Théophile Gautier

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Tristesse en mer


Les mouettes volent et jouent;
Et les blancs coursiers de la mer,
Cabrés sur les vagues, secouent
Leurs crins échevelés dans l'air.


Par: Théophile Gautier

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Rondalla


Pour te prouver combien je t'aime,
Dis?! Je tuerai qui tu voudras:
J'attaquerai Satan lui-même,
Si pour linceul j'ai tes deux draps.

Porte sourde! ... Fenêtre aveugle! ...
Tu dois pourtant ouïr ma voix;
Comme un taureau blessé je beugle,
Des chiens excitant les abois!

Au moins plante un clou dans ta porte,
Un clou pour accrocher mon coeur.
À quoi sert que je le remporte
Fou de rage, mort de langueur?


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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Caerulei oculi


Montrant son sein, cachant sa queue,
La sirène amoureusement
Fait ondoyer sa blancheur bleue
Sous l'émail vert du flot dormant.

L'eau s'enfle comme une poitrine
Aux soupirs de la passion;
Le vent, dans sa conque marine,
Murmure une incantation.

« Oh?! Viens dans ma couche de nacre,
Mes bras d'onde t'enlaceront;
Les flots, perdant leur saveur âcre,
Sur ta bouche en miel couleront.

Laissant bruire sur nos têtes
La mer qui ne peut s'apaiser,
Nous boirons l'oubli des tempêtes
Dans la coupe de mon baiser. »


Par: Théophile Gautier

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Symphonie en blanc majeur


De ces femmes il en est une,
Qui chez nous descend quelquefois,
Blanche comme le clair de lune
Sur les glaciers dans les cieux froids;

Conviant la vue enivrée
De sa boréale fraîcheur
À des régals de chair nacrée,
À des débauches de blancheur!

Son sein, neige moulée en globe,
Contre les camélias blancs
Et le blanc satin de sa robe
Soutient des combats insolents.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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Variations sur le carnaval de Venise


Au loin, dans la brume sonore,
Comme un rêve presque effacé,
J'ai revu, pâle et triste encore,
Mon vieil amour de l'an passé.

Mon âme en pleurs s'est souvenue
De l'avril où, guettant au bois
La violette à sa venue,
Sous l'herbe nous mêlions nos doigts...

Cette note de chanterelle,
Vibrant comme l'harmonica,
C'est la voix enfantine et grêle,
Flèche d'argent qui me piqua.

Le son en est si faux, si tendre,
Si moqueur, si doux, si cruel,
Si froid, si brûlant, qu'à l'entendre
On ressent un plaisir mortel,

Et que mon cœur, comme la voûte
Dont l'eau pleure dans un bassin,
Laisse tomber goutte par goutte
Ses larmes rouges dans mon sein.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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Le poème de la femme


Ses paupières battent des ailes
Sur leurs globes d'argent bruni,
Et l'on voit monter ses prunelles
Dans la nacre de l'infini.

D'un linceul de point d'Angleterre
Que l'on recouvre sa beauté:
L'extase l'a prise à la terre;
Elle est morte de volupté!

Que les violettes de Parme,
Au lieu des tristes fleurs des morts
Où chaque perle est une larme,
Pleurent en bouquets sur son corps!

Et que mollement on la pose
Sur son lit, tombeau blanc et doux,
Où le poète, à la nuit close,
Ira prier à deux genoux!


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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Affinités secrètes


Sur les coupoles de Venise
Deux ramiers blancs aux pieds rosés,
Au nid où l'amour s'éternise,
Un soir de mai se sont posés.

Marbre, perle, rose, colombe,
Tout se dissout, tout se détruit;
La perle fond, le marbre tombe,
La fleur se fane et l'oiseau fuit.


Par: Théophile Gautier

Ajoutée par Savinien le 14/11/2010

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