Citations de Alphonse de Lamartine
138 Citations
Jamais cette effusion de mon âme ne tarissait ou ne se refroidissait. Si le firmament n'eût été qu'une page, et que Dieu m'eût dit de la remplir de mon amour, cette page n'aurait pas contenu tout ce que je sentais se dire en moi! Je ne m'arrêtais qu'après que les quatre feuilles étaient remplies, et il me semblait toujours n'avoir rien dit! C'est qu'en effet je n'avais rien dit, car qu'étaient ces quatre feuilles pour contenir l'infini?
Extrait de: Raphaël (1849)
Ajoutée par Savinien le 14/04/2023
Il y a deux mémoires: la mémoire des sens, qui s'use avec les sens et qui laisse perdre les choses périssables, et la mémoire de l'âme, pour qui le temps n'existe pas, qui revoit à la fois tous les points du passé et du présent de son existence, et qui a, comme l'âme elle-même, l'ubiquité, l'universalité et l'immortalité de l'esprit. Rassurez-vous, vous qui aimez, le temps n'a de puissance que sur les heures, aucune sur les sentiments.
Extrait de: Raphaël (1849)
Ajoutée par Savinien le 14/04/2023
Il n'y a ni aujourd'hui ni demain dans les retentissements puissants de la mémoire, il n'y a que toujours. Celui qui ne sent plus n'a jamais senti!
Extrait de: Raphaël (1849)
Ajoutée par Savinien le 14/04/2023
Oh! Qui n'a pas eu ainsi dans sa vie de ces bonheurs sans sécurité et sans lendemain, où la vie se concentre dans une heure qu'on voudrait rendre éternelle et qu'on sent échapper minute à minute, en écoutant le balancier de la pendule qui bat la seconde, en regardant l'aiguille qui dévore l'heure sur le cadran, en sentant la roue de la voiture dont chaque tour abrège l'espace, ou en écoutant le bruit d'une proue qui laisse le flot en arrière et qui vous approche du bord où il faudra descendre du ciel de vos rêves sur la grève dure et froide de la réalité!
Extrait de: Raphaël (1849)
Ajoutée par Savinien le 14/04/2023
Je ne sais pas qui a écrit cette musique; mais qui que ce soit, qu'il soit béni pour avoir exprimé, par quelques notes, cet infini de la tristesse humaine, dans le gémissement mélodieux d'une voix! Depuis ce jour, il ne m'a plus été possible d'entendre les premières mesures de cet air sans m'enfuir comme un homme poursuivi par une ombre, et quand je sens le besoin d'ouvrir mon coeur par une larme, je me chante intérieurement à moi-même le refrain plaintif, et je me sens prêt à pleurer, moi qui ne pleure plus!
Extrait de: Raphaël (1849)
Ajoutée par Savinien le 14/04/2023
Je n'étais pas pressé de la revoir, d'entendre sa voix, de me rapprocher d'elle, de m'entretenir en liberté avec celle qui était déjà toute ma pensée et toute ma vie. Je l'avais vue; je l'emportais partout avec moi: de près, de loin, absente, présente, je la possédais; tout le reste m'était indifférent. L'amour complet est patient, parce qu'il est absolu et qu'il sent qu'il durera autant que la vie. Je défiais l'univers de m'arracher cette image sans m'arracher mon coeur.
Extrait de: Raphaël (1849)
Ajoutée par Savinien le 14/04/2023
L'homme est tellement créé pour l'amour, qu'il ne se sent homme que du jour où il a la conscience d'aimer pleinement. Jusque-là il cherche, il s'inquiète, il s'agite, il erre dans ses pensées. De ce moment il s'arrête, il se repose, il est au fond de sa destinée.
Extrait de: Raphaël (1849)
Ajoutée par Savinien le 14/04/2023
Il y a de ces êtres qui rayonnent, qui éblouissent, qui entraînent tout dans leur sphère d'attraction sans y penser, sans le vouloir, sans le savoir même. On dirait que certaines natures ont un système, comme les astres, et qu'elles font graviter autour d'elles les regards, les âmes et les pensées de leurs satellites. La beauté physique ou morale est leur puissance, la fascination est leur chaîne, l'amour est leur émanation. On les suit à travers la terre et jusqu'au ciel, où elles se perdent jeunes; quand elles ont disparu, l'oeil reste comme aveugle d'éblouissement.
Extrait de: Raphaël (1849)
Ajoutée par Savinien le 14/04/2023
Sa présence devait m'être douce, car son âme et la mienne se comprenaient par leur désenchantement. Souffrir de même, c'est bien mieux que jouir de même. La douleur a bien d'autres étreintes que le bonheur pour resserrer deux coeurs.
Extrait de: Raphaël (1849)
Ajoutée par Savinien le 14/04/2023
« Raphaël, lui disais-je, pourquoi n'écris-tu pas ?
- Bah! Me disait-il, est-ce que le vent écrit ce qu'il chante dans ces feuilles sonores sur nos têtes? Est-ce que la mer écrit les gémissements de ses grèves? Rien n'est beau de ce qui est écrit. Ce qu'il y a de plus divin dans le coeur de l'homme n'en sort jamais. Entre ce qu'on sent et ce qu'on exprime, ajoutait-il avec tristesse, il y a la même distance qu'entre l'âme et les vingt-quatre lettres d'un alphabet, c'est-à-dire l'infini. »
Extrait de: Raphaël (1849)
Ajoutée par Savinien le 14/04/2023
Elle était si jeune, si belle, si transpercée des rayons dorés du soleil, si incorporée avec ce cadre merveilleux du ciel, des bois, des eaux, dans lequel je la voyais m'éblouir et d'où j'allais la voir disparaître; j'étais si jeune et si sensible à cette beauté moi-même, que si je n'avais été défendu par l'ombre de Saluce qui s'interposait entre nous, je n'aurais pu résister à son éblouissement, et j'auraís mis mon coeur sous ses pieds comme ces feuilles tombées de l'arbre qu'elle foulait en marchant.
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
La beauté est un don inconnu et une puissance magique. Il n'est permis à aucun être vivant d'y échapper. Etre belle, c'est régner.
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
Fais ce que tu voudras, me dit-il ; voilà le tiroir de mon secrétaire; prends-y avec mesure, mais avec liberté. Si c'est un amour, le temps le guérira; si c'est une amitié, le temps pourra bien la dénaturer. Tu es bien jeune pour être le tuteur d'une femme aussi belle que tu dépeins ton Italienne; prends garde au coeur; il n'est jamais plus près de se réveiller que quand il dort!
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
La bonté a toujours été pour moi un irrésistible aimant; tous les autres mérites de l'homme ou de la femme s'effacent devant celui-là. La bonté est la vertu toute faite. On ne travaille sur soi-même toute sa vie, par des efforts ou des préceptes surnaturels, que pour arriver à cette perfection, que certains êtres ont reçue en naissant.
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
Il n'y a pas d'attrait plus puissant pour deux âmes qui ont souffert qu'une conformité de tristesse.
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
Je hais les villes de toute la puissance de mes sensations, qui sont toutes des sensations rurales. Je hais les villes, comme les plantes du Midi haïssent l'ombre humide d'une cour de prison. Mes joies n'y sont jamais complètes, mes peines y sont centuplées par la concentration de mes yeux, de mes pas, de mon âme, dans ces foyers de regards, de voix, de bruit et de boue. J'analyserais et je justifierais en mille pages cette impression des villes, ces réceptacles d'ombre, d'humidité, d'immondices, de vices, de misère et d'égoïsme, que le poète Cowper a définis si complètement pour moi en un seul vers: C'est Dieu qui fit les champs, c'est l'homme qui fit les villes.
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
Tout l'esprit du chevalier était dans son coeur. Excepté des sentiments et des aventures, il n'y avait rien à en tirer. Mais c'est avec cela qu'on fait les épopées. Tout homme simple est un poème pour qui sait le feuilleter. L'intérêt est dans celui qui écoute, bien plus que dans celui qui raconte.
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
On la croyait toujours à vingt ans, car elle n'avait que l'âge de ses impressions, et ses impressions avaient l'éternelle fraîcheur de son éternelle virginité d'esprit. Entre elle et ses filles, il n'y avait que la distance de la branche au fruit; le regard les cueillait ensemble et ne les séparait pas.
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
La foule est une solitude; on la voit, on sait qu'elle existe, mais on ne la connaît qu'en masse. Comme individu, elle n'existe pas.
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
Le coeur humain est un instrument qui n'a ni le même nombre ni la même qualité de cordes dans toutes les poitrines, et où l'on peut découvrir éternellement de nouvelles notes pour les ajouter à la gamme infinie des sentiments et des cantiques de la création.
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
Une mémoire est une chose inviolable, parce que c'est une chose muette; il ne faut y toucher que pieusement. Je ne me consolerais jamais si j'avais laissé tomber de cette vie, dans cette autre vie d'où l'on ne peut répondre, un mot qui pourrait blesser ces immortels absents qu'on appelle les mânes. Je ne voudrais pas même qu'un mot réfléchi, hostile à quelqu'un, restât après moi contre un des hommes qui me survivront un jour. La postérité n'est pas l'égout de nos passions; elle est l'urne de nos souvenirs; elle ne doit conserver que des parfums.
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
Dieu est Dieu; il ordonne quelquefois au vent de déraciner le chêne de cent ans, et à l'homme de déraciner son propre coeur. Le chêne et le coeur sont a lui, il faut les lui rendre, et lui rendre encore par-dessus justice, gloire et bénédiction!
Extrait de: Nouvelles confidences (1851)
Ajoutée par Savinien le 13/04/2023
Je ne me sens un peu de rosée dans le coeur que quand je suis bien seul avec la nature. Tout ce qui traverse seulement cette solitude trouble ou interrompt cet entretien muet entre le génie de la solitude, qui est Dieu, et moi. La langue que parle la nature à mon âme est une langue à voix basse. Le moindre bruit empêche d'entendre.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
Je n'ai plus aucune passion ici-bas; mais le coeur n'est jamais si lourd que quand il est vide. Pourquoi? C'est qu'il se remplit d'ennuis.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
Il y a de la pitié dans nos amitiés. Le malheur est un attrait pour certaines âmes. Le ciment de nos coeurs est pétri de larmes, et presque toutes nos affections profondes commencent par un attendrissement!
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
On s'attache par ce qu'on découvre de semblable à soi dans ceux qu'on étudie. L'amour et l'amitié ne sont au fond que l'image d'un être réciproquement entrevue et doublée dans le coeur d'un autre être. Quand ces deux images se confondent tellement que les deux n'en font plus qu'une, l'amitié ou l'amour sont complets.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
L'âme du poète est une eau courante qui écrit ses murmures et qui les chante; mais nous les écrivons avec les notes de l'homme, et la nature avec les notes de Dieu.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
Son esprit était rarement où on voulait le conduire; il était aux mathématiques quand nous étions au latin, à l'histoire quand nous expliquions les poètes, aux poètes quand il s'agissait des philosophes. On lui passait tout cela. Il arrivait autrement, mais il arrivait toujours, seulement il n'arrivait pas à l'heure. Son esprit était à libre allure; il ne pouvait marcher dans l'ornière de personne; il se traçait la sienne au gré de ses caprices; il était né pour les solitudes de l'esprit.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
Je fus son frère et il fut le mien. En le perdant, j'ai perdu la moitié de ma propre vie. Ma pensée ne retentissait pas moins en lui qu'en moi-même. Le jour de sa mort, il s'est fait un grand silence autour de moi. Il m'a semblé que l'écho vivant de tous les battements de mon coeur était mort avec lui. Je me sens encore, je ne m'entends plus.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
Je n'ai jamais tant étudié les murmures, les plaintes, les colères, les tortures, les gémissements et les ondulations des eaux que pendant ces nuits et ces jours passés ainsi tout seul dans la société monotone d'un lac. J'aurais fait le poème des eaux sans en omettre la moindre note. Jamais non plus je n'ai tant joui de la solitude, ce linceul volontaire de l'homme où il s'enveloppe pour mourir voluptueusement à la terre.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
J'ai consacré à sa mémoire vénérée quelques-uns des derniers vers que j'ai écrits. La poésie, à une certaine époque de la vie, n'est plus qu'un vase funéraire qui sert a brûler quelques parfums pour embaumer de saintes mémoires. Celle de madame de Broglie n'en avait pas besoin. Elle est à elle-même son parfum. Elle s'embaume de sa propre vertu.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
L'impression du génie s'oublie; l'impression de l'attrait est impérissable. La beauté a un éclair qui foudroie. Celle de madame Récamier n'était si puissante et si achevée que parce qu'elle était l'enveloppe modelée sur son intelligence et sur son âme. Ce n'était pas son visage seulement qui était beau, c'était elle qui était belle.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
Les hommes se reconnaissent aux sentiments autant qu'aux noms. Les idées généreuses sont une parenté entre les étrangers. La liberté a sa fraternité comme la famille.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
Elle avait puisé ses idées sur l'éducation d'abord dans son âme, et puis dans Jean-Jacques Rousseau et dans Bernardin de Saint-Pierre, ces deux philosophes des femmes, parce qu'ils sont les philosophes du sentiment.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
Des gouttes brillantes comme le diamant suintent des parois de la voûte et, tombant par intervalles réguliers, y produisent ce tintement sonore, harmonieux et plaintif, qui, pour les petites sources comme pour les grandes mers, est toujours la voix de l'eau. L'eau est l'élément triste. Super flumina Babylonis sedimus et flevímus. Pourquoi? C'est que l'eau pleure avec tout le monde.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
Combien de fois ne m'a-t-elle pas dit, plus tard, en me montrant du doigt les bornes si rapprochées du jardin et de nos champs de Milly: « C'est bien petit, mais c'est assez grand si nous savons y proportionner nos désirs et nos habitudes. Le bonheur est en nous; nous n'en aurions pas davantage en étendant la limite de nos prés ou de nos vignes. Le bonheur ne se mesure pas à l'arpent comme la terre; il se mesure à la résignation du coeur, car Dieu a voulu que le pauvre en eût autant que le riche, afin que l'un et l'autre ne songeassent pas a le demander à un autre qu'à lui! »
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
D'Alembert, Laclos, madame de Genlis, Buffon, Florian, l'historien anglais Gibbon, Grimm, Morellet, M. Necker, les hommes d'Etat, les gens de lettres, les philosophes du temps, vivaient dans la société de madame des Roys. Elle avait eu surtout des relations avec le plus immortel d'entre eux, Jean-Jacques Rousseau. Ma mère, quoique très-pieuse et très-étroitement attachée au dogme catholique, avait conservé une tendre admiration pour ce grand homme, sans doute parce qu'il avait plus qu'un génie, parce qu'il avait une âme. Elle n'était pas de la religion de son génie, mais elle était de la religion de son coeur.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
J'ai peu rencontré de méchants sur ma route, j'ai vécu dans une atmosphère de bonté, de génie, de générosité, d'amour et de vertu, je ne me souviens que des bons. J'oublie sans effort les autres. Mon âme est comme ces cribles où les faveurs d'or du Mexique recueillent les paillettes du pur métal dans les torrents des Cordillères. Le sable en retombe, l'or y reste. A quoi bon charger sa mémoire de ce qui ne sert pas à nourrir, à charmer ou à consoler le coeur?
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
On aime les lieux où l'on a aimé. Ils semblent nous conserver notre coeur d'autrefois et nous le rendre intact pour aimer encore.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
Il est doux aussi de fixer les joies qui nous échappent ou les larmes qui tombent de nos yeux, pour les retrouver, quelques années après, sur ces pages, et pour se dire: « Voila donc de quoi j'ai été heureux! Voilà donc de quoi j'ai pleuré! » Cela apprend l'instabilité des sentiments et des choses; cela fait apprécier les jouissances et les peines, non pas à leur prix du moment, qui nous trompe, mais au, prix seul de l'éternité, qui seule ne nous trompe pas! »
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
La célébrité n'est que la gloire du jour; elle n'a pas de lendemain.
Extrait de: Les confidences (1849)
Ajoutée par Savinien le 12/04/2023
C'est ainsi que j'expiai par ces larmes écrites la dureté et l'ingratitude de mon coeur de dix-huit ans. Je ne puis jamais relire ces vers sans adorer cette fraîche image que rouleront éternellement pour moi les vagues transparentes et plaintives du golfe de Naples... Et sans me haïr moi-même! Mais les âmes pardonnent là-haut. La sienne m'a pardonné. Pardonnez-moi aussi, vous! J'ai pleuré.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
Le premier regret
Sur la plage sonore où la mer de Sorrente
Déroule ses flots bleus au pied de l'oranger,
Il est, près du sentier sous la haie odorante,
Une pierre petite, étroite, indifférente
Aux pieds distraits de l'étranger.
La giroflée y cache un seul nom sous ses gerbes,
Un nom que nul écho n'a jamais répété!
Quelquefois cependant le passant arrêté,
Lisant l'âge et la date en écartant les herbes,
Et sentant dans ses yeux quelques larmes courir
Dit : « Elle avait seize ans! C'est bien tôt pour mourir! »
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
La vanité est le plus sot et le plus cruel des vices, car elle fait rougir du bonheur!
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
Je me suis mise à genoux et j'ai fait un voeu, un dernier voeu, un voeu d'espérance jusque dans le désespoir. Car tu sauras, si jamais tu aimes, qu'il reste toujours une dernière lueur de feu au fond de l'âme, même quand on croit que tout est éteint.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
Le temps est une grande mer qui déborde, comme l'autre mer, de nos débris. On ne peut pas pleurer sur tous. A chaque homme ses douleurs, à chaque siècle sa pitié; c'est bien assez.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
Chacun porte avec soi son point de vue. Un nuage sur l'âme couvre et décolore plus la terre qu'un nuage sur l'horizon. Le spectacle est dans le spectateur.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
Il était de cette nature de coeurs faibles, mais aimants, qui, se sentant déshérités par la nature des qualités qui font qu'on est aimé, se contentent d'aimer sans retour et qui se dévouent comme des esclaves volontaires au service, sinon au bonheur, de la femme à laquelle ils assujettissent leur coeur. Ce ne sont pas les plus nobles, mais ce sont les plus touchantes natures d'attachement. On les plaint, mais on les admire. Aimer pour être aimé, c'est de l'homme; mais aimer pour aimer c'est presque de l'ange.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
L'homme se tourmente jusqu'à ce qu'il ait produit au-dehors ce qui le travaille au-dedans. Sa parole écrite est comme un miroir dont il a besoin pour se connaître lui-même et pour s'assurer qu'il existe. Tant qu'il ne s'est pas vu dans ses oeuvres, il ne se sent pas complètement vivant. L'esprit a sa puberté comme le corps.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
L'homme est comme l'arbre qu'on secoue pour en faire tomber ses fruits: on n'ébranle jamais l'homme sans qu'il en tombe des pleurs.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
Les poètes cherchent le génie bien loin, tandis qu'il est dans le coeur et que quelques notes bien simples, touchées pieusement et par hasard sur cet instrument monté par Dieu même, suffisent pour faire pleurer tout un siècle, et pour devenir aussi populaires que l'amour et aussi sympathiques que le sentiment. Le sublime lasse, le beau trompe, le pathétique seul est infaillible dans l'art. Celui qui sait attendrir sait tout.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
Bien que les instruments fussent gais et que les attitudes fussent celles de la joie, les airs étaient tristes, les notes lentes et rares allaient profondément pincer les fibres endormies du coeur. Il en est ainsi de la musique partout où elle n'est pas un vain jeu de l'oreille, mais un gémissement harmonieux des passions qui sort de l'âme par la voix. Tous ses accents sont des soupirs, toutes ses notes roulent des pleurs avec le son. On ne peut jamais frapper un peu fort sur le coeur de l'homme sans qu'il en sorte des larmes, tant la nature est pleine, au fond, de tristesse! Et tant ce qui la remue en fait monter de lie à nos lèvres et de nuages à nos yeux!
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
Ces deux instruments, l'un plaintif et léger, l'autre monotone et sourd, s'accordent merveilleusement pour rendre presque sans art les deux notes alternatives du coeur de l'homme: la tristesse et la joie. On les entend pendant les nuits d'été sur presque tous les toits des îles ou de la campagne de Naples, même sur les barques; ce concert aérien, qui poursuit l'oreille de site en site, depuis la mer jusqu'aux montagnes, ressemble aux bourdonnements d'un insecte de plus, que la chaleur fait naître et bourdonner sous ce beau ciel. Ce pauvre insecte, c'est l'homme! Qui chante quelques jours devant Dieu sa jeunesse et ses amours, et puis qui se tait pour l'éternité.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
Le pêcheur est sous la garde immédiate du ciel. L'homme ne sait pas d'où viennent le vent et la vague. Le rabot et la lime sont dans la main de l'ouvrier, la richesse ou la faveur sont dans la main du roi, mais la barque est dans la main de Dieu.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
La preuve que la liberté est l'idéal divin de l'homme, c'est qu'elle est le premier rêve de la jeunesse, et qu'elle ne s'évanouit dans notre âme que quand le coeur se flétrit et que l'esprit s'avilit ou se décourage. Il n'y a pas une âme de vingt ans qui ne soit républicaine. Il n'y a pas un coeur usé qui ne soit servile.
Extrait de: Graziella (1849)
Ajoutée par Savinien le 11/04/2023
Sachons nous contenter de l'eau qui nous abreuve;
Pour qui boit à sa soif la goutte vaut un fleuve.
Ajoutée par Savinien le 29/05/2013
Impromptu
Je ne fis qu'entrevoir en passant ton visage.
Mon oeil depuis ce jour reste ébloui de toi:
Je plains le flot du Rhône où se peint ton image;
Il la perd en fuyant, je l'emporte avec moi.
Ajoutée par Savinien le 29/05/2013
Fuyons, mon âme
Fuyons, mon âme, au fond des solitudes,
Fuyons ce monde infidèle ou pervers,
Et secouons, au seuil de ces déserts,
Espoir, amour, désirs, inquiétudes,
Poussière, hélas! Dont nos pieds sont couverts!
Voici des bois, des rochers et des plages
Que la nature a formés de ses mains!
Les seuls torrents ont creusé ces chemins!
L'écume seule aborde ces rivages
Que n'ont jamais foulés des pieds humains!
Là, cherche enfin ton repos en toi-même!
De ton bonheur les songes furent courts!
Loin de ces bords chasse-les pour toujours!
N'aime plus rien que ce doux ciel qui t'aime!
Au soleil seul demande tes beaux jours!
Au coeur blessé la nature est si douce!
La solitude est le port du malheur!
Déjà le calme est rentré dans mon coeur,
Déjà ma vie a repris sans secousse
Son cours qu'avait suspendu la douleur!
Ajoutée par Savinien le 27/05/2013
A madame de Villeneuve, qui me demandait de lui envoyer des vers
Des poètes les doux accents
Sont un parfum qui s'évapore:
Il faut respirer cet encens
Au moment qui le voit éclore.
En vain, par un effet de l'art,
Une froide image est tracée;
On ne peut fixer le regard,
On ne peut peindre la pensée.
Oui, j'allais sur l'aile des vents
T'envoyer un son de ma lyre;
Mais toi qui demandes des chants,
Peux-tu m'envoyer un sourire?
Ajoutée par Savinien le 27/05/2013
La fenêtre de la maison paternelle
Autour du toit qui nous vit naître
Un pampre étalait ses rameaux,
Ses grains dorés, vers la fenêtre,
Attiraient les petits oiseaux.
Ma mère, étendant sa main blanche,
Rapprochait les grappes de miel,
Et ses enfants suçaient la branche,
Qu'ils rendaient aux oiseaux du ciel.
L'oiseau n'est plus, la mère est morte;
Le vieux cep languit jaunissant,
L'herbe d'hiver croît sur la porte,
Et moi, je pleure en y pensant.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 28/03/2013
A Angelica
Jeune voix que Dieu fit éclore
Comme un hymne au matin du jour;
Chaque âme en ce triste séjour
Pour toi fut un temple sonore
Que tu remplis de sons, de délire et d'amour.
Bulbul ainsi que toi ne chante qu'une aurore;
Mais il revient souvent au bois qu'il a quitté,
Ecouter si du roc la source coule encore,
En soupirs aussi purs, si le son s'évapore,
Si la rosée y tombe aux tièdes nuits d'été.
Ah! Reviens comme lui, bel oiseau qui t'envole!
Tu trouveras toujours un écho dans nos bois,
Un désert dans nos coeurs qu'aucun bruit ne console,
Et des pleurs dans nos yeux pour tomber à ta voix.
Extrait de: Recueillements poétiques (1839)
Ajoutée par Savinien le 28/03/2013
A une jeune fille qui pleurait sa mère
Que notre oeil l'un dans l'autre pose
Triste, quand nous nous regardons!
Nous manque-t-il donc une chose,
Que du coeur nous nous demandons?
Ah! Je sais la pensée amère
Qui de tes regards montent aux miens!
Dans mes yeux tu cherches ta mère,
Je vois mon ange dans les tiens!
Quoique ta tristesse ait des charmes,
Ne nous regardons plus ainsi:
Hélas! Ce ne sont que des larmes
Que les yeux échangent ici!
La mort nous sevra de bonne heure,
Toi de ton lait, moi de mon miel;
Pour revoir ce que chacun pleure,
Pauvre enfant, regardons au ciel!
Extrait de: Recueillements poétiques (1839)
Ajoutée par Savinien le 28/03/2013
Le premier regret
Sur la plage sonore où la mer de Sorrente
Déroule ses flots bleus aux pieds de l'oranger
Il est, près du sentier, sous la haie odorante,
Une pierre petite, étroite, indifférente
Aux pas distraits de l'étranger!
La giroflée y cache un seul nom sous ses gerbes.
Un nom que nul écho n'a jamais répété!
Quelquefois seulement le passant arrêté,
Lisant l'âge et la date en écartant les herbes,
Et sentant dans ses yeux quelques larmes courir,
Dit: elle avait seize ans! C'est bien tôt pour mourir!
Extrait de: Harmonies poétiques et religieuses (1830)
Ajoutée par Savinien le 06/01/2013
Impressions du matin et du soir
La nature a deux chants, de bonheur, de tristesse,
Qu'elle rend tour à tour ainsi que notre coeur,
De l'une à l'autre note elle passe sans cesse:
Homme! L'une est ta joie, et l'autre ta douleur!
L'une sort du matin et chante avec l'aurore,
L'autre gémit le soir un triste et long adieu;
Au premier, au second, le ciel répond: adore!
Et de l'hymne éternel le mot unique est Dieu!
Extrait de: Harmonies poétiques et religieuses (1830)
Ajoutée par Savinien le 06/01/2013
Impressions du matin et du soir
L'oeil, au flanc des coteaux poursuivant la lumière,
Sent le jour défaillir sous sa morne paupière,
Les brises du matin se posent pour dormir,
Le rivage se tait, la voile tombe à vide,
La mer roule à ses bords la nuit dans chaque ride,
Et tout ce qui chantait semble à présent gémir.
Et les songes menteurs, et les vaines pensées,
Que du front des mortels la lumière a chassées,
Et que la nuit couvait sous ses ailes glacėes,
Descendent avec elle et voilent l'horizon;
L'illusion se glisse en notre âme amollie,
Et l'air, plein de silence et de mélancolie,
Des pavots du sommeil enivre la raison.
Et l'oiseau de la nuit sort des antres funèbres,
Ouvre avec volupté ses yeux lourds aux ténèbres,
Gémit, et croit chanter, dans l'ombre où son oeil luit;
Et l'homme dont les pas et le coeur aiment l'ombre,
Dit en portant les yeux au firmament plus sombre:
Sortons, Dieu s'est caché; sortons, voici la nuit!
Extrait de: Harmonies poétiques et religieuses (1830)
Ajoutée par Savinien le 06/01/2013
L'infini dans les cieux
Oh! Que suis-je, Seigneur! Devant les cieux et toi?
De ton immensité le poids pèse sur moi,
Il m'égale au néant, il m'efface, il m'accable,
Et je m'estime moins qu'un de ces grains de sable,
Car ce sable roulé par les flots inconstants,
S'il a moins d'étendue, hélas! A plus de temps;
Il remplira toujours son vide dans l'espace
Lorsque je n'aurai plus ni nom, ni temps, ni place;
Son sort est devant toi moins triste que le mien,
L'insensible néant ne sent pas qu'il n'est rien,
Il ne se ronge pas pour agrandir son être,
Il ne veut ni monter, ni juger, ni connaître,
D'un immense désir il n'est point agité;
Mort, il ne rêve pas une immortalité!
Il n'a pas cette horreur de mon âme oppressée,
Car il ne porte pas le poids de ta pensée!
Extrait de: Harmonies poétiques et religieuses (1830)
Ajoutée par Savinien le 02/12/2012
Tout est faux! Tout est vide et tout est lamentable!
Le présent tour à tour ou m'échappe ou m'accable!
Le passé n'est qu'un songe, et l'avenir n'est pas!
Le bonheur dans la vie est un point dans l'espace,
Un vain éclair qui meurt dans la nuit du trépas
Et dont l'oeil ébloui cherche en vain quelque trace.
L'espoir est un tourment, la crainte est un poison;
La vérité n'est pas, la vertu n'est qu'un nom!
Ainsi toujours pressé de nuages funèbres,
J'ai marché dans le doute, et meurs dans les ténèbres,
Et je vais en tremblant demander à la mort
De m'expliquer enfin cette énigme du sort!
Ajoutée par Savinien le 02/12/2012
Elégie à la lune
Toi, qui du jour éteint consoles la nature,
Parais, flambeau des nuits, lève-toi dans les cieux;
Etends autour de toi sur la pâle verdure
Les douteuses clartés d'un jour mystérieux!
Tous les infortunés chérissent ta lumière:
L'éclat brillant du jour repousse leurs douleurs;
Aux rayons du soleil ils ferment leur paupière
Et rouvrent devant toi leurs yeux noyés de pleurs.
Ajoutée par Savinien le 02/12/2012
A M. Casimir Delavigne
Mais c'est assez parler de nos vaines querelles;
Le temps emportera ce siècle sur ses ailes,
Et laissera tomber dans l'éternelle nuit
De nos dissensions le misérable bruit.
D'autres siècles viendront, chargés d'autres promesses;
Ils tromperont encore nos trompeuses sagesses;
Sur leurs cours orageux l'homme, encore emporté,
Dans ses rêves nouveaux verra la vérité!
C'est la loi des esprits: tout cherche et tout travaille;
Ce monde, cher Lavigne, est un champ de bataille
Où des ombres d'un jour passent en combattant:
Pour qui? Pour un fantôme, un système, un néant;
Et, quand ils sont tout près de saisir leur idole,
C'est un ballon qui crève, et du vent qui s'envole.
Extrait de: Epîtres de Lamartine
Ajoutée par Savinien le 14/10/2012
Le retour
Vallon, rempli de mes accords,
Ruisseau, dont mes pleurs troublaient l'onde,
Prés, colline, forêt profonde,
Oiseaux qui chantiez sur ses bords!
Zéphir, qu'embaumait son haleine,
Sentiers, où sa main, tant de fois,
M'entraînait à l'ombre des bois,
Où l'habitude me ramène!
Ce temps n'est plus! Mon oeil glacé,
Qui vous cherche à travers ses larmes,
A vos bords, jadis plein de charmes,
Redemande en vain le passé!
La terre est pourtant aussi belle,
Le ciel aussi pur que jamais!
Ah! Je le vois; ce que j'aimais,
Ce n'était pas vous, c'était elle!
Extrait de: Epîtres de Lamartine
Ajoutée par Savinien le 14/10/2012
De hochets ici-bas nous changeons tour à tour;
L'amour n'a qu'une fleur, le plaisir n'a qu'un jour;
La coupe du savoir sous nos lèvres s'épuise;
L'ambitieux conquiert un sceptre et puis le brise.
La gloire est un flambeau sur un cercueil jeté,
Et qui brûle toujours la main qui l'a porté;
Extrait de: Le dernier chant du pélerinage d'Harold
Ajoutée par Savinien le 14/10/2012
L'hirondelle, en suivant les saisons dans les airs,
Voit, des bords qu'elle fuit, l'autre rive des mers;
Le pilote, que l'ombre entoure de ses voiles,
Suit un phare immobile au milieu des étoiles;
L'aigle vole au soleil, la colombe à son nid;
Sur l'abîme orageux que sa proue aplanit,
Sous des cieux inconnus guidé par sa boussole,
A travers l'horizon, le vaisseau voit le pôle;
L'homme seul ne voit rien pour marquer son chemin,
Qu'hier et qu'aujourd'hui, semblables à demain,
Et, changeant à toute heure et de but et de route,
Marche, recule, avance, et se perd dans son doute!
Extrait de: Le dernier chant du pélerinage d'Harold
Ajoutée par Savinien le 02/10/2012
La mort de Socrate
Cependant de la mort qui peut sonder l'abîme?
Les dieux ont mis leur doigt sur sa lèvre sublime:
Qui sait si dans ces mains prêtes à la saisir
L'âme, incertaine, tombe avec peine, ou plaisir?
Pour moi, qui vis encore, je ne sais, mais je pense
Qu'il est quelque mystère au fond de ce silence;
Que des dieux indulgents la sévère bonté
A jusque dans la mort caché la volupté,
Comme, en blessant nos coeurs de ses divines armes,
L'amour cache souvent un plaisir sous des larmes!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 02/10/2012
La mort de Socrate
Pourquoi donc vivons-nous, si ce n'est pour mourir?
Pourquoi pour la justice ai-je aimé de souffrir?
Pourquoi dans cette mort qu'on appelle la vie,
Contre ses vils penchants luttant, quoique asservie,
Mon âme avec mes sens a-t-elle combattu?
Sans la mort, mes amis, que serait la vertu?
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 02/10/2012
L'amour! Je l'ai chanté, quand, plein de son délire,
Ce nom seul murmuré faisait vibrer ma lyre,
Et que mon coeur cédait au pouvoir d'un coup d'oeil,
Comme la voile au vent qui la pousse à l'écueil.
J'aimai; je fus aimé: c'est assez pour ma tombe;
Qu'on y grave ces mots, et qu'une larme y tombe!
Extrait de: Le dernier chant du pélerinage d'Harold
Ajoutée par Savinien le 01/10/2012
La sagesse
Insensé le mortel qui pense!
Toute pensée est une erreur.
Vivez, et mourez en silence;
Car la parole est au Seigneur!
Il sait pourquoi flottent les mondes;
Il sait pourquoi coulent les ondes,
Pourquoi les cieux pendent sur nous,
Pourquoi le jour brille et s'efface,
Pourquoi l'homme soupire et passe:
Et vous, mortels, que savez-vous?
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 01/10/2012
Les préludes
L'onde qui baise ce rivage,
De quoi se plaint-elle à ses bords?
Pourquoi le roseau sur la plage,
Pourquoi le ruisseau sous l'ombrage
Rendent-ils de tristes accords?
De quoi gémit la tourterelle
Quand, dans le silence des bois,
Seule auprès du ramier fidèle,
L'Amour fait palpiter son aile,
Les baisers étouffent sa voix?
Et toi, qui mollement te livre
Au doux sourire du bonheur,
Et du regard dont tu m'enivre,
Me fais mourir, me fait revivre,
De quoi te plains-tu sur mon coeur!
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 01/10/2012
La mort de Socrate
Les poètes ont dit qu'avant sa dernière heure,
En sons harmonieux le doux cygne se pleure;
Amis, n'en croyez rien! L'oiseau mélodieux
D'un plus sublime instinct fut doué par les dieux!
Du riant Eurotas près de quitter la rive,
L'âme, de ce beau corps à moitié fugitive,
S'avançant pas à pas vers un monde enchanté,
Voit poindre le jour pur de l'immortalité,
Et, dans la douce extase où ce regard la noie,
Sur la terre en mourant elle exhale sa joie.
Vous qui près du tombeau venez pour m'écouter,
Je suis un cygne aussi; je meurs; je puis chanter!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 16/09/2012
La poésie sacrée
L'homme vit un jour sur la terre
Entre la mort et la douleur;
Rassasié de sa misère,
Il tombe enfin comme la fleur;
Il tombe! Au moins par la rosée
Des fleurs la racine arrosée
Peut-elle un moment refleurir!
Mais l'homme, hélas! Après la vie,
C'est un lac dont l'eau s'est enfuie:
On le cherche, il vient de tarir.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 16/09/2012
Dieu
Mais peut-être, avant l'heure où dans les cieux déserts
Le soleil cessera d'éclairer l'univers,
De ce soleil moral la lumière éclipsée
Cessera par degrés d'éclairer la pensée;
Et le jour qui verra ce grand flambeau détruit
Plongera l'univers dans l'éternelle nuit.
Alors tu briseras ton inutile ouvrage!
Ses débris foudroyés rediront d'âge en âge:
Seul je suis! Hors de moi rien ne peut subsister!
L'homme cessa de croire, il cessa d'exister!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 16/09/2012
Philosophie
Toi, qui longtemps battu des vents et de l'orage,
Jouissant aujourd'hui de ce ciel sans nuage,
Du sein de ton repos contemple du même oeil
Nos revers sans dédain, nos erreurs sans orgueil;
Dont la raison facile, et chaste sans rudesse,
Des sages de ton temps n'a pris que la sagesse,
Et qui reçus d'en haut ce don mystérieux
De parler aux mortels dans la langue des dieux;
De ces bords enchanteurs où ta voix me convie,
Où s'écoule à flots purs l'automne de ta vie,
Où les eaux et les fleurs, et l'ombre, et l'amitié,
De tes jours nonchalants usurpent la moitié,
Dans ces vers inégaux que ta muse entrelace,
Dis nous, comme autrefois nous l'aurait dit Horace,
Si l'homme doit combattre ou suivre son destin?
Si je me suis trompé de but ou de chemin?
S'il est vers la sagesse une autre route à suivre?
Et si l'art d'être heureux n'est pas tout l'art de vivre.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 15/09/2012
La retraite
Ce qu'on appelle nos beaux jours
N'est qu'un éclair brillant dans une nuit d'orage,
Et rien, excepté nos amours,
N'y mérite un regret du sage;
Mais, que dis-je? On aime à tout âge:
Ce feu durable et doux, dans l'âme renfermé,
Donne plus de chaleur en jetant moins de flamme;
C'est le souflle divin dont tout l'homme est formé,
Il ne s'éteint qu'avec son âme.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 20/08/2012
Souvenir
En vain le jour succède au jour,
Ils glissent sans laisser de trace;
Dans mon âme rien ne t'efface,
O dernier songe de l'amour!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 08/08/2012
Le vallon
Le jour où je la vis, nos regards s'entendirent.
L'âme comprend un geste, un regard, un soupir!
Sans nous être parlé, nos coeurs se confondirent,
Je sentis qu'il fallait ou parler ou mourir.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 08/08/2012
L'homme
Mais que sert de lutter contre sa destinée?
Que peut contre le sort la raison mutinée?
Elle n'a comme l'oeil qu'un étroit horizon.
Ne porte pas plus loin tes yeux ni ta raison:
Hors de là, tout nous fuit, tout s'éteint, tout s'efface;
Dans ce cercle borné Dieu t'a marqué ta place.
Comment? Pourquoi? Qui sait? De ses puissantes mains
Il a laissé tomber le monde et les humains,
Comme il a dans nos champs répandu la poussière,
Ou semé dans les airs la nuit et la lumière;
Il le sait, il suffit: l'univers est à lui,
Et nous n'avons à nous que le jour d'aujourd'hui.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 08/08/2012
Novissima verba
Femmes! Anges mortels! Création divine!
Seul rayon dont la vie un moment s'illumine!
Je le dis à cette heure, heure de vérité,
Comme je l'aurai dit, quand devant la beauté
Mon coeur épanoui qui se sentait éclore
Fondait comme une neige aux rayons de l'aurore!
Je ne regrette rien de ce monde que vous!
Ce que la vie humaine a d'amer et de doux,
Ce qui la fait brûler, ce qui trahit en elle
Je ne sais quel parfum de la vie immortelle,
C'est vous seules! Par vous toute joie est amour!
Ombre des biens parfaits du céleste séjour,
Vous êtes ici-bas la goutte sans mélange
Que Dieu laissa tomber de la coupe de l'ange!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Novissima verba
Que tu sais bien dorer ton magique lointain!
Qu'il est beau l'horizon de ton riant matin!
Quand le premier amour et la fraîche espérance
Nous entrouvrent l'espace où notre âme s'élance
N'emportant avec soi qu'innocence et beauté,
Et que d'un seul objet notre coeur enchanté
Dit comme Roméo: « Non, ce n'est pas l'aurore!
Aimons toujours! L'oiseau ne chante pas encore! »
Tout le bonheur de l'homme est dans ce seul instant;
Le sentier de nos jours n'est vert qu'en le montant!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Novissima verba
Et c'est donc là le terme! - Ah! S'il faut une fois
Que chaque homme à son tour élève enfin la voix,
C'est alors! C'est avant qu'une terre glacée
Engloutisse avec lui sa dernière pensée!
C'est à cette heure même où, prête à s'exhaler,
Toute âme a son secret qu'elle veut révéler,
Son mot à dire au monde, à la mort, à la vie,
Avant que pour jamais, éteinte, évanouie,
Elle n'ait disparu, comme un feu de la nuit,
Qui ne laisse après soi ni lumière ni bruit!
Que laissons-nous, ô vie, hélas! Quand tu t'envoles?
Rien, que ce léger bruit des dernières paroles.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Novissima verba
La nuit roule en silence autour de nos demeures
Sur les vagues du ciel la plus noire des heures:
Nul rayon sur mes yeux ne pleut du firmament,
Et la brise n'a plus même un gémissement,
une plainte, qui dise à mon âme aussi sombre:
Quelque chose avec toi meurt et se plaint dans l'ombre!
Je n'entends au-dehors que le lugubre bruit
Du balancier qui dit: le temps marche et te fuit;
Au-dedans, que le pouls, balancier de la vie,
Dont les coups inégaux dans ma tempe engourdie
M'annoncent sourdement que le doigt de la mort
De la machine humaine a pressé le ressort.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Eternité de la nature, brièveté de l'homme
Et toi qui t'abaisse et t'élève
Comme la poudre des chemins,
Comme les vagues sur la grève,
Race innombrable des humains,
Survis au temps qui me consume,
Engloutis-moi dans ton écume,
Je sens moi-même mon néant,
Dans ton sein, qu'est-ce qu'une vie?
Ce qu'est une goutte de pluie
Dans les bassins de l'océan!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Milly, ou la terre natale
Montagnes que voilait le brouillard de l'automne,
Vallons que tapissait le givre du matin,
Saules dont l'émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,
Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide,
Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour
Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide,
Et, leur urne à la main, s'entretenaient du jour,
Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,
Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
L'infini dans les cieux
Hélas! Pourquoi si haut mes yeux ont-ils monté?
J'étais heureux en bas dans mon obscurité,
Mon coin dans l'étendue et mon éclair de vie
Me paraissaient un sort presque digne d'envie;
Je regardais d'en haut cette herbe; en comparant,
Je méprisais l'insecte et je me trouvais grand;
Et maintenant, noyé dans l'abîme de l'être,
Je doute qu'un regard du dieu qui nous fit naître
Puisse me démêler d'avec lui, vil, rampant,
Si bas, si loin de lui, si voisin du néant!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Pensée des morts
Tous ceux enfin dont la vie
Un jour ou l'autre ravie,
Emporte une part de nous,
Murmurent sous la poussière:
Vous qui voyez la lumière,
Vous souvenez-vous de nous?
Extrait de: Harmonies poétiques et religieuses (1830)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Adieux à la poésie
Adieu donc, adieu, voici l'heure,
Lyre aux soupirs mélodieux!
En vain à la main qui t'effleure
Ta fibre encore répond et pleure:
Voici l'heure de nos adieux.
Reçois cette larme rebelle
Que mes yeux ne peuvent cacher.
Combien sur ta corde fidèle
Mon âme, hélas! En versa-t-elle,
Que tes soupirs n'ont pu sécher!
Sur cette terre infortunée,
Où tous les yeux versent des pleurs,
Toujours de cyprès couronnée,
La lyre ne nous fut donnée
Que pour endormir nos douleurs.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Chant d'amour
Souviens-toi de l'heure bénie
Où les dieux, d'une tendre main,
Te répandirent sur ma vie
Comme l'ombre sur le chemin.
Depuis cette heure fortunée,
Ma vie à ta vie enchaînée,
Qui s'écoule comme un seul jour,
Est une coupe toujours pleine,
Où mes lèvres à longue haleine
Puisent l'innocence et l'amour.
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Chant d'amour
Ton front, que ton voile ombrage
Et découvre tour à tour,
Est une nuit sans nuage
Prête à recevoir le jour;
Ta bouche, qui va sourire,
Est l'onde qui se retire
Au souffle errant du zéphyr,
Et, sur ces bords qu'elle quitte,
Laisse au regard qu'elle invite,
Compter les perles d'Ophyr!
Ton cou, penché sur l'épaule,
Tombe sous son doux fardeau,
Comme les branches du saule
Sous le poids d'un passereau;
Ton sein, que l'oeil voit à peine
Soulevant à chaque haleine
Le poids léger de ton coeur,
Est comme deux tourterelles
Qui font palpiter leurs ailes
Dans la main de l'oiseleur.
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Chant d'amour
Pourquoi sous tes cheveux me cacher ton visage?
Laisse mes doigts jaloux écarter ce nuage:
Rougis-tu d'être belle, ô charme des mes yeux?
L'aurore, ainsi que toi, de ses roses s'ombrage.
Pudeur! Honte céleste! Instinct mystérieux,
Ce qui brille le plus se voile davantage;
Comme si la beauté, cette divine image,
N'était faite que pour les cieux!
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Et j'ai dit dans mon coeur: Que faire de la vie?
Irai-je encore, suivant ceux qui m'ont devancé,
Comme l'agneau qui passe où sa mère a passé,
Imiter des mortels l'immortelle folie?
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
La branche d'amandier
Souvent la beauté fugitive
Ressemble à la fleur du matin,
Qui, du front glacé du convive,
Tombe avant l'heure du festin.
Un jour tombe, un autre se lève;
Le printemps va s'évanouir;
Chaque fleur que le vent enlève
Nous dit: Hâtez-vous de jouir.
Et, puisqu'il faut qu'elles périssent,
Qu'elles périssent sans retour!
Que ces roses ne se flétrissent
Que sous les lèvres de l'amour!
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 19/09/2012
La branche d'amandier
De l'amandier tige fleurie,
Symbole, hélas! De la beauté,
Comme toi, la fleur de la vie
Fleurit et tombe avant l'été.
Qu'on la néglige ou qu'on la cueille,
De nos fronts, des mains de l'Amour,
Elle s'échappe feuille à feuille,
Comme nos plaisirs jour à jour!
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 19/09/2012
Le papillon
Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l'aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S'enivrer de parfums, de lumière et d'azur,
Secouant, jeune encore, la poudre de ses ailes,
S'envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté!
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté!
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 19/09/2012
Philosophie
Aussi, pendant qu'admis dans les conseils des rois,
Représentant d'un maître honoré par son choix,
Tu tiens un des grands fils de la trame du monde;
Moi, parmi les pasteurs, assis au bord de l'onde,
Je suis d'un oeil rêveur les barques sur les eaux;
J'écoute les soupirs du vent dans les roseaux;
Nonchalamment couché près du lit des fontaines,
Je suis l'ombre qui tourne autour du tronc des chênes,
Ou je grave un vain nom sur l'écorce des bois,
Ou je parle à l'écho qui répond à ma voix,
Ou dans le vague azur contemplant les nuages,
Je laisse errer comme eux mes flottantes images;
La nuit tombe, et le temps, de son doigt redouté,
Me marque un jour de plus que je n'ai pas compté!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
La foi
Pour moi, quand le destin m'offrirait à mon choix
Le sceptre du génie, ou le trône des rois,
La gloire, la beauté, les trésors, la sagesse,
Et joindrait à ses dons l'éternelle jeunesse,
J'en jure par la mort; dans un monde pareil,
Non, je ne voudrais pas rajeunir d'un soleil.
Je ne veux pas d'un monde où tout change, où tout passe;
Où, jusqu'au souvenir, tout s'use et tout s'efface;
Où tout est fugitif, périssable, incertain;
Où le jour du bonheur n'a pas de lendemain!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
La retraite
Ce qu'on appelle nos beaux jours
N'est qu'un éclair brillant dans une nuit d'orage,
Et rien, excepté nos amours,
N'y mérite un regret du sage;
Mais, que dis-je? On aime à tout age:
Ce feu durable et doux, dans l'âme renfermé,
Donne plus de chaleur en jetant moins de flamme;
C'est le souffle divin dont tout l'homme est formé,
Il ne s'éteint qu'avec son âme.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Le vallon
Suis le jour dans le ciel, suis l'ombre sur la terre,
Dans les plaines de l'air vole avec l'aquilon,
Avec les doux rayons de l'astre du mystère
Glisse à travers les bois dans l'ombre du vallon.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
L'homme
Me voici! Le néant te salue en naissant;
Me voici! Mais que suis-je? Un atome pensant!
Qui peut entre nous deux mesurer la distance?
Moi, qui respire en toi ma rapide existence,
A l'insu de moi-même à ton gré façonné,
Que me dois-tu, Seigneur, quand je ne suis pas né?
Rien avant, rien après: Gloire à la fin suprême:
Qui tira tout de soi se doit tout à soi-même!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
L'homme
Cherchant ce grand secret sans pouvoir le surprendre,
J'ai vu partout un Dieu sans jamais le comprendre!
J'ai vu le bien, le mal, sans choix et sans dessein,
Tomber comme au hasard, échappés de son sein;
Mes yeux dans l'univers n'ont vu qu'un grand peut-être,
J'ai blasphémé ce Dieu, ne pouvant le connaître;
Et ma voix, se brisant contre le ciel d'airain,
N'a pas même eu l'honneur d'arrêter le destin.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
L'homme
Borné dans sa nature, infini dans ses voeux,
L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
L'homme
Comme toi, ma raison en ténèbres abonde,
Et ce n'est pas à moi de t'expliquer le monde.
Que celui qui l'a fait t'explique l'univers!
Plus je sonde l'abîme, hélas! Plus je m'y perds.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 10/09/2010
Le lac
Ô temps! Suspends ton vol, et vous, heures propices!
Suspendez votre cours:
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours!
Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent;
Oubliez les heureux.
Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit;
Je dis à cette nuit: Sois plus lente; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
Aimons donc, aimons donc! De l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons!
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive;
Il coule, et nous passons!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 28/08/2010
Pourquoi mon âme est-elle triste?
Et pourtant il faut vivre encore,
Dormir, s'éveiller tout à tour,
Et traîner d'aurore en aurore
Ce fardeau renaissant des jours?
Quand on a bu jusqu'à la lie
La coupe écumante de vie,
Ah! La briser serait un bien!
Espérer, attendre, c'est vivre!
Que sert de compter et de suivre
Des jours qui n'apportent plus rien?
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Apparition
Gloire à ton nom, Dieu qui l'envoie!
Ta grâce a permis que je voie
Ce que mes yeux cherchaient toujours.
Que veux-tu? Faut-il que je meure?
Tiens, je te donne pour cette heure
Toutes les heures de mes jours!
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Les préludes
Penser sans découvrir, aspirer sans atteindre,
Briller sans éclairer, et pâlir sans s'éteindre:
Hélas! tel est mon sort et celui des humains!
Nos pères ont passé par les mêmes chemins.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Les préludes
Tout naît, tout passe, tout arrive
Au terme ignoré de son sort:
A l'océan l'onde plaintive,
Aux vents la feuille fugitive,
L'aurore au soir, l'homme à la mort.
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Le poète mourant
N'inscrivez point de nom sur ma demeure sombre.
Du poids d'un monument ne chargez pas mon ombre:
D'un peu de sable, hélas! Je ne suis point jaloux.
Laissez-moi seulement à peine assez d'espace
Pour que le malheureux qui sur ma tombe passe
Puisse y poser ses deux genoux.
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Le poète mourant
Voir passer sur son front l'ombre de sa pensée,
La parole manquer à sa bouche oppressée,
Et de ce long silence entendre enfin sortir
Ce mot qui retentit jusque dans le ciel même,
Ce mot, le mot des dieux, et des hommes: ... Je t'aime!
Voilà ce qui vaut un soupir.
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Le poète mourant
Qu'est-ce donc que des jours pour valoir qu'on les pleure?
Un soleil, un soleil; une heure, et puis une heure;
Celle qui vient ressemble à celle qui s'enfuit;
Ce qu'une nous apporte, une autre nous l'enlève:
Travail, repos, douleur, et quelquefois un rêve,
Voilà le jour, puis vient la nuit.
Ah! Qu'il pleure, celui dont les mains acharnées
S'attachant comme un lierre au débris des années,
Voit avec l'avenir s'écrouler son espoir!
Pour moi, qui n'ait point pris racine sur la terre,
Je m'en vais sans effort, comme l'herbe légère
Qu'enlève le souffle du soir.
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
La solitude
Heureux qui, s'écartant des sentiers d'ici-bas,
A l'ombre du désert allant cacher ses pas,
D'un monde dédaigné secouant la poussière,
Efface, encore vivant, ses traces sur la terre,
Et, dans la solitude enfin enseveli,
Se nourrit d'espérance et s'abreuve d'oubli!
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 19/09/2012
L'automne
Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau:
L'air est si parfumé! La lumière est si pure!
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau!
...
La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphyr;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Le golfe de Baya
Ainsi tout change, ainsi tout passe;
Ainsi nous mêmes nous passons,
Hélas! Sans laisser plus de trace
Que cette barque où nous glissons
Sur cette mer où tout s'efface.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Philosophie
Vivre est assez pour nous; un plus sage l'a dit:
Le soin de chaque jour à chaque jour suffit.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
La foi
Mon âme aura passé, sans guide et sans flambeau
De la nuit d'ici-bas dans la nuit du tombeau,
Et j'emporte au hasard, au monde où je m'élance,
Ma vertu sans espoir, mes maux sans récompense.
Réponds-moi, Dieu cruel! S'il est vrai que tu sois,
J'ai donc le droit fatal de maudire tes lois!
Après le poids du jour, du moins le mercenaire
Le soir s'assied à l'ombre, et reçoit son salaire:
Et moi, quand je fléchis sous le fardeau du sort,
Quand mon jour est fini, mon salaire est la mort.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
La foi
Redoutant le néant, et lasse de souffrir,
Hélas! Tu crains de vivre et tremble de mourir.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
La foi
La douleur lentement m'entrouvre le tombeau:
Salut, mon dernier jour! Sois mon jour le plus beau!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
La foi
O néant! ô seul Dieu que je puisse comprendre!
Silencieux abîme où je vais redescendre,
Pourquoi laissas-tu l'homme échapper de ta main?
De quel sommeil profond je dormais dans ton sein!
Dans l'éternel oubli, j'y dormirais encore;
Mes yeux n'auraient pas vu ce faux jour que j'abhorre,
Et dans ta longue nuit, mon paisible sommeil
N'aurait jamais connu ni songes, ni réveil.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Le désespoir
Lorsque du Créateur la parole féconde,
Dans une heure fatale, eut enfanté le monde
Des germes du chaos,
De son oeuvre imparfaite il détourna sa face,
Et d'un pied dédaigneux le lançant dans l'espace,
Rentra dans son repos.
Va, dit-il, je te livre à ta propre misère;
Trop indigne à mes yeux d'amour ou de colère,
Tu n'es rien devant moi.
Roule au gré du hasard dans les déserts du vide;
Qu'à jamais loin de moi le destin soit ton guide,
Et le malheur ton roi.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Le vallon
J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie,
Je viens chercher vivant le calme du Léthé;
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie
L'oubli seul désormais est ma félicité.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
L'immortalité
Tu vois autour de toi dans la nature entière
Les siècles entasser poussière sur poussière,
Et le temps, d'un seul pas confondant ton orgueil,
De tout ce qu'il produit devenir le cercueil.
Et l'homme, et l'homme seul, ô sublime folie!
Au fond de son tombeau croit retrouver la vie,
Et dans le tourbillon au néant emporté,
Abattu par le temps, rêve l'éternité!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
A Elvire
Vois d'un oeil de pitié la vulgaire jeunesse;
Brillante de beauté, s'enivrant de plaisir!
Quand elle aura tari sa coupe enchanteresse,
Que restera-t-il d'elle? à peine un souvenir:
Le tombeau qui l'attend l'engloutit tout entière,
Un silence éternel succède à ses amours;
Mais les siècles auront passé sur ta poussière
Elvire, et tu vivras toujours!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
L'homme
Pardonne au désespoir un moment de blasphème,
J'osai... Je me repends: gloire au maître suprême:
Il fit l'eau pour couler, l'aquilon pour courir,
Les soleils pour brûler, et l'homme pour souffrir!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
L'homme
Cependant, accablé sous le poids de ma chaîne,
Du néant au tombeau l'adversité m'entraîne;
Je marche dans la nuit par un chemin mauvais,
Ignorant d'où je viens, incertain où je vais.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
L'homme
Ici-bas, la douleur à la douleur s'enchaîne.
Le jour succède au jour, et la peine à la peine.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
L'homme
Aux regards de celui qui fit l'immensité,
L'insecte vaut un monde: ils ont autant coûté!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
Sapho
Adieu! Leurs vains présents que le vulgaire envie,
Ni des traits de l'amour, ni des coups du destin,
Misérable Sapho, n'ont pu sauver ta vie!
Tu vécus dans les pleurs et tu meurs au matin!
Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée!
Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel,
Une jeune victime à ton temple amenée,
Qu'à ton culte en naissant le pâtre a destinée,
Vient tomber avant l'âge au pied de ton autel!
Et vous qui reverrez le cruel que j'adore
Quand l'ombre du trépas aura couvert mes yeux,
Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux!
Dites-lui... qu'en mourant je le nommais encore!...
Elle dit. Et le soir, quittant le bord des flots,
Vous revîntes sans elle, ô vierges de Lesbos!
Extrait de: Nouvelles méditations poétiques (1823)
Ajoutée par Savinien le 19/09/2012
Souvenir
C'est toi que j'entends, que je vois,
Dans le désert, dans le nuage;
L'onde réfléchit ton image;
Le zéphyr m'apporte ta voix.
Tandis que la terre sommeille,
Si j'entends le vent soupirer,
Je crois t'entendre murmurer
Des mots sacrés à mon oreille.
Si j'admire ces feux épars
Qui des nuits parsèment le voile,
Je crois te voir dans chaque étoile
Qui plaît le plus à mes regards.
Et si le souffle du zéphyr
M'enivre du parfum des fleurs,
Dans ses plus suaves odeurs
C'est ton souffle que je respire.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
L'isolement
Que ne puis-je, porté sur le char de l'aurore,
Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi,
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie:
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons!
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
L'isolement
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme, ni transports,
Je contemple la terre, ainsi qu'une ombre errante:
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis: nulle part le bonheur ne m'attend.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010
L'isolement
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières?
Vains objets dont pour moi le charme est envolé;
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.
Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil? Je n'attends rien des jours.
Extrait de: Méditations poétiques (1820)
Ajoutée par Savinien le 25/07/2010