Citations de André Lemoyne

4 Citations

Vieux rêves


Il est de noirs îlots, battus par la tempête,
Qui n'ont pas d'arbre vert, qui n'ont pas une fleur.
Sur des pics désolés souffle un vent de malheur.
Là, pour faire son nid, pas d'oiseau qui s'arrête.
La mer, rien que la mer, et sa grande rumeur...

Le froid soleil du Nord qui regarde ces plages
Y retrouve parfois à l'heure des jusants,
Dans le sable engravés pêle-mêle gisants,
Des tronçons de vieux mâts, restes d'anciens naufrages,
De longs clous de vaisseau tout rongés par les âges,
Des crânes de marins morts depuis cinq cents ans.

Il est de pauvres coeurs, dans le désert du monde,
Condamnés à vieillir sans jamais être aimés.
Le monde n'y voit rien: ces coeurs-là sont fermés.
Dieu seul peut les connaître; et quand son oeil les sonde,
Il n'aperçoit au fond que stériles débris:
Et les rêves déçus... et les espoirs flétris.


Par: André Lemoyne

Ajoutée par Savinien le 27/03/2014

 

Le poète et l'hirondelle


Voici venir l'automne, hirondelle frileuse.
Bientôt s'effeuilleront mes rosiers défleuris.
Un ciel brumeux et noir s'étendra sur Paris,
Et tu me quitteras, petite voyageuse.
Hirondelle, où vas-tu quand tu me dis adieu?

Je passe tous les ans la Méditerranée.
J'habite, sur un fleuve, une île fortunée
Où la pervenche est rose et le nymphaea bleu.

Ah! Quand s'achèvera ton voyage tranquille,
Dans mon triste Paris, moi, j'aurai froid au coeur;
Et je souffrirai seul dans cette grande ville
Où je n'ai plus de mère et n'ai pas une soeur.

Poëte, pour t'aimer, n'est-il pas une femme?

Souvenir d'autrefois... la femme que j'aimais
Dort sous les gazons verts qu'ombragent les cyprès.

Jamais un autre amour n'éclôra dans ton âme?
Aux branches des rosiers quand une rose meurt.
Parfois j'ai vu renaître une rose nouvelle
Qui sur la même branche épanouit sa fleur.

Bénis soient tes amours, bienheureuse hirondelle!
Moi, j'ai connu, dans l'ombre et la fraîcheur des bois,
Des plantes qui jamais n'ont fleuri qu'une fois.


Par: André Lemoyne

Ajoutée par Savinien le 27/03/2014

 

Dormeuse


Le soleil du matin tombe en bruine d'or
A travers les rideaux de blanche mousseline:
C'est comme un fin brouillard de lumière en sourdine
Éclairant l'oreiller d'une blonde qui dort.

Les cheveux, déroulés comme un torrent de soie
Riche de tous ses flots trop longtemps contenus,
Débordent sur l'épaule et baisent les seins nus
De la femme qui rêve... et sourit dans sa joie.

Elle s'épanouit sous des regards aimés;
L'amoureux ébloui contemple sa dormeuse,
Écoutant respirer la paisible charmeuse
Qui, dans un songe bleu, sourit les yeux fermés.

A travers les grands cils de ses paupières closes,
Il voudrait voir un seul de ses rêves charmants!
Quelle image apparaît à ses beaux yeux dormants?
Cueille-t-elle des lis, des bluets ou des roses?

Le sein veiné d'azur s'agite... Elle a parlé
(La parole n'est pas un murmure d'abeille);
Un mot s'est échappé de sa bouche vermeille,
Un nom d'homme inconnu, très-bien articulé!

Nom sonore et vibrant dont toutes les syllabes
Comme un timbre d'or pur ont clairement tinté.
- Ce n'est pas lui qui rêve... Il a trop écouté. -
Il n'est pas endormi dans les contes arabes.

Muet, anéanti, devant ce frais sommeil
Qui laisse voir le fond d'une pensée intime,
Sur la femme penché comme sur un abîme,
Il retient son haleine, épiant le réveil.

Mais toute à son bonheur la dormeuse paisible,
Comme souriant d'aise à l'écho de sa voix,
Répète le nom d'homme une seconde fois,
Et voici l'amoureux qui jette un cri terrible.

La blonde ouvre ses yeux divins : « Si tu savais...
(Lui dit-elle tout bas en lui baisant l'oreille)
- Dieu voit d'en haut la femme heureuse qui sommeille
Par les sentiers fleuris du printemps je rêvais. -

Tu n'as pas vu de fleurs si richement écloses...
Avril, mai, juin, juillet... N'as-tu pas deviné?
J'ai trouvé le beau nom de notre premier-né,
Tout en cueillant des lis, des bluets et des roses! »


Par: André Lemoyne

Ajoutée par Savinien le 27/03/2014

 

Fleurs d'Avril


Le bouvreuil a sifflé dans l'aubépine blanche;
Les ramiers, deux à deux, ont au loin roucoulé,
Et les petits muguets, qui sous bois ont perlé,
Embaument les ravins où bleuit la pervenche.

Sous les vieux hêtres verts, dans un frais demi-jour,
Les heureux de vingt ans, les mains entrelacées,
Echangent, tout rêveurs, des trésors de pensées
Dans un mystérieux et long baiser d'amour.

Les beaux enfants naïfs, trop ingénus encore
Pour comprendre la vie et ses enchantements,
Sont émus en plein coeur de chauds pressentiments,
Comme aux rayons d'avril les fleurs avant d'éclore.

Et l'homme ancien qui songe aux printemps d'autrefois,
Oubliant pour un jour le nombre des années,
Ecoute la voix d'or des heures fortunées
Et va silencieux en pleurant sous les bois.


Par: André Lemoyne

Ajoutée par Savinien le 27/03/2014