Citations de Charles-Augustin Sainte-Beuve

31 Citations

Invocation


Car l'amour vrai, tardif, qui mûrit en son temps,
Vois-tu, n'est pas semblable à celui de vingt ans,
Que jette la jeunesse en sa première sève,
Au blond duvet, vermeil, et doré comme un rêve;
C'est un amour profond, amer, désespéré,
C'est le dernier, l'unique; on dit moins, j'en mourrai;
On en meurt; - un amour armé de jalousie,
Consumant tout, honneur et gloire et poésie;
Sans douceurs et sans miel, capable de poison ,
Et pour toute la vie égarant la raison.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 17/02/2021

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Invocation


Amour, où donc es-tu? Descends, vautour sublime;
J'étalerai mon coeur pour qu'il soit ta victime;
Je t'ouvrirai ma veine et mon flanc tout fumant;
Docile à ton essor, comme un crédule amant,
J'irai, j'irai partout où montera ton aile;
Je chérirai sans fin ta morsure éternelle.
Tu me seras léger et doux, maître adoré!
Jamais gazon flétri, jamais sable altéré,
Jamais guerriers mourants dont la plaine est jonchée
N'ont plus avidement bu la pluie épanchée
Que moi, rôdant, la nuit, aux lieux les plus déserts,
Je ne boirai mes pleurs cuisants, mes pleurs amers.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 17/02/2021

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L'enfance d'Adèle


Elle est là, mon Adèle, oh! Je me la figure,
Elle est là, je la vois, dans la vague posture
D'une femme qui rêve, étendue à demi;
Le sombre époux l'enferme, elle rêve à l'Ami;
Elle se dit qu'il l'aime et qu'il n'aime rien qu'elle,
Qu'il veille obstinément sur l'amante fidèle,
Qu'il l'avertit de vivre et de tout espérer,
De ne plus obscurcir ses doux yeux à pleurer,
Mais de s'ouvrir d'avance à la saison heureuse
Que l'amour patient, à petit bruit, se creuse
Mille détours certains par où va son ennui,
Qu'obstacles et soupçons, tout s'use devant lui,
Et qu'en un coeur désert tarit la jalousie
Plus vite qu'en deux coeurs ses torrents d'ambroisie.
Le regard du jaloux s'aveugle en quelques jours;
Les amants se font signe et s'entendent toujours.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 17/02/2021

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Que vient-elle me dire, aux plus tendres instants,
En réponse aux soupirs d'une âme consumée,
Que vient-elle conter, ma folle Bien-aimée,
De charmes défleuris, de ravages du temps,

De bandeaux de cheveux déjà moins éclatants?
Qu'a-t-elle à me montrer sur sa tête embaumée,
Comme un peu de jasmin dans l'épaisse ramée,
Quelques rares endroits pâlis dés le printemps?

Qu'a-t-elle? Dites-moi; fut-on jamais plus belle?
Le désir la revêt d'une flamme nouvelle;
Sa taille est de quinze ans, ses yeux gagnent aux pleurs;

Et, pour mieux couronner ma jeune Fiancée,
Amour qui fait tout bien, docile à ma pensée,
Mêle à ses noirs cheveux quelque neige de fleurs.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 17/02/2021

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Par un ciel étoilé, sur ce beau pont des Arts,
Revenant tard et seul de la cité qui gronde,
J'ai mille fois songé que l'Éden en ce monde
Serait de mener là mon Ange aux doux regards;

De fuir boue et passants, les cris, le vice épars;
De lui montrer le ciel, la lune éclairant l'onde,
Les constellations dans leur courbe profonde
Planant sur ce vain bruit des hommes et des chars.

J'ai rêvé lui donner un bouquet au passage;
A la rampe accoudé, ne voir que son visage,
Ou l'asseoir sur ces bancs d'un mol éclat blanchis;

Et, quand son âme est pleine et sa voix oppressée,
L'entendre désirer de gagner le logis,
Suspendant à mon bras sa marche un peu lassée.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 17/02/2021

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Laissez-moi! Tout a fui. Le printemps recommence;
L'été s'anime, et le désir a loi;
Les sillons et les coeurs agitent leur semence.
Laissez-moi! Tout a fui.

Laissez-moi! Dans nos champs, les roches solitaires,
Les bois épais appellent mon ennui.
Je veux, au bord des lacs, méditer leurs mystères,
Et comment tout m'a fui.

Laissez-moi m'égarer aux foules de la ville;
J'aime ce peuple et son bruit réjoui;
Il double la tristesse à ce coeur qui s'exile,
Et pour qui tout a fui.

Laissez moi! Midi règne, et le soleil sans voiles
Fait un désert à mon oeil ébloui.
Laissez-moi! C'est le soir, et l'heure des étoiles:
Qu'espérer? Tout a fui.

Oh! Laissez-moi, sans trêve, écouter ma blessure,
Aimer mon mal et ne vouloir que lui.
Celle en qui je croyais, Celle qui m'était sûre.
Laissez-moi! Tout a fui!


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 17/02/2021

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La beauté la plus égale et la mieux soutenue ici-bas a nécessairement ses heures d'éclipse et de défaillance; elle ne nous offre pas dans un jour constant sa portion idéale, éternelle. Il est des saisons et des mois où elle devient sujette aux langueurs. Elle se lève dans un nuage qui ne la quitte pas et qui la revêt d'une tiédeur perfide. Ses yeux nagent, ses bras retombent, tout son corps s'oublie en d'incroyables postures; sa voix flatteuse va au coeur et fait mourir. Quand on approche, l'émotion gagne, le trouble est contagieux; chaque geste, chaque parole d'elle semble une faveur. On dirait que ses cheveux, négligemment amassés sur sa tête, vont se dénouer ces jours-là au moindre soupir et vous noyer le visage; une volupté odorante s'exhale de sa personne comme d'une tige en fleur. Ivresse et poison! Fuyez: toute femme en certains moments est séductrice.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Extrait de: Volupté (1835)

Ajoutée par Savinien le 06/02/2013

 

Il y a en ce monde la beauté selon les sens, il y a la beauté selon l'âme: la première, charnelle, opaque, immédiatement discernable; la seconde, qui ne frappe pas moins peut-être à la simple vue, mais qui demande qu'on s'y élève davantage, qu'on en pénètre la transparente substance et qu'on en saisisse les symboles voilés. Idole et symbole, révélation et piège, voilà le double aspect de l'humaine beauté depuis Eve.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Extrait de: Volupté (1835)

Ajoutée par Savinien le 04/02/2013

 

Dans toute âme qui de bonne heure a vécu, le passé a déposé ses débris en sépultures successives que le gazon de la surface peut faire oublier; mais, dès qu'on se replonge en son coeur et qu'on en scrute les âges, on est effrayé de ce qu'il contient et de ce qu'il conserve: il y a en nous des mondes!


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Extrait de: Volupté (1835)

Ajoutée par Savinien le 04/02/2013

 

Quand on a un peu vieilli et comparé, cela rabat l'orgueil de voir à quel point le fond de nos destinées, en ce qu'elles ont de misérable, est le même. On croit posséder en son sein d'incomparables secrets; on se flatte d'avoir été l'objet de fatalités singulières, et, pour peu que le coeur des autres, le coeur de ceux qui nous coudoient dans la rue, s'ouvre à nous, on s'étonne d'y apercevoir des misères toutes semblables, des combinaisons équivalentes.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Extrait de: Volupté (1835)

Ajoutée par Savinien le 04/02/2013

 

Il faut du loisir pour l'agrément de la vie; les esprits qui ont toute leur charge ne sauraient avoir de douceur.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par jlm le 20/03/2013

 

Elevons un peu notre pensée. Qu'est-ce que le désir de la gloire chez les hommes, à bord de cette terre qui vogue dans l'espace infini où elle naufragera un jour? Il me semble voir à bord d'un gros vaisseau destiné au naufrage, ou plutôt dont le naufrage est continuel et déjà commencé, de nombreux passagers desquels pas un n'arrivera, et dont les premiers morts ont un désir insensé d'occuper la mémoire des survivants, de ceux qui vont bientôt disparaître et s'abîmer à leur tour. Il est vrai qu'à le voir de près, le vaisseau est immense, que les passagers d'un pont ne connaissent pas ceux d'un autre pont, et que la poupe ignore la proue; cela fait l'illusion d'un monde. Il est vrai encore qu'en même temps qu'on meurt en un coin du vaisseau, on danse, on se marie, on fête les naissances tout à côté, et que l'équipage se reproduit et ne diminue pas. Mais, qu'importe? Il n'est pas moins voué tout entier à un seul et même terme. Nul ne sortira de cette masse flottante pour aller porter son nom ni celui de ses semblables sur les rivages inconnus, sur les continents et les îles sans nombre qui étoilent le merveilleux azur. Tout se passe entre soi et à huis-clos. Est-ce la peine? - J'ai fait la paraphrase, mais Pascal a rendu d'un mot cette pensée: « Combien de royaumes nous ignorent! »


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Extrait de: Mes Poisons (1926)

Ajoutée par jlm le 20/10/2013

 

De ce que la vie serait en définitive (ce que je crois) une partie qu'il faut toujours perdre, il ne s'ensuit point qu'il ne faille pas la jouer de son mieux et tâcher de la perdre le plus tard possible.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par jlm le 22/04/2013

 

Ce qu'il y a de plus étonnant dans les hommes et de plus inépuisable en eux, c'est encore leur bassesse et leur platitude.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

 

Ajoutée par Savinien le 20/09/2011

 

A madame V. H.


L'irréparable, hélas! Savez-vous ce que c'est?
Vous que le ciel bénit? Malheur à qui le sait!
Une fille à quinze ans, belle, fraîche, parée,
Et tout d'un coup ravie à sa mère éplorée;
Un père moribond et que le froid raidit
Avant qu'il ait dit grâce au fils qu'il a maudit;
Une vierge séduite et puis abandonnée,
Un souvenir sanglant dans notre destinée,
Un remords étalé sur un front endormi,
Quelque mortel outrage à l'honneur d'un ami:
Voila l'irréparable! Et ce seul mot nous brise;
Mais aux coups plus légers le coeur se cicatrise;
Et quand on vit, qu'on s'aime, et que l'un a pleuré,
On pardonne, on oublie et tout est réparé.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 29/10/2010

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A mon ami Ulric Guttinguer


J'ai, changeant tour à tour de faiblesse et de flamme,
Suivi bien des regards, adoré bien des pas,
Et plus d'un soir, rentrant, le désespoir dans l'âme,
Un coup d'oeil m'atteignit que je ne cherchais pas.

Caprices! Voeux légers! Lucile, Nathalie,
Toi qui mourus, Emma, fantômes chers et doux,
Et d'autres que je sais et beaucoup que j'oublie;
Que de fois pour toujours je me crus tout à vous!

Mais comme un flot nouveau chasse le flot sonore,
Comme passent des voix dans un air embaumé,
Comme l'aube blanchit et meurt à chaque aurore,
Ainsi rien ne durait... et je n'ai point aimé!


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 29/10/2010

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A M. Auguste le Prévost


Hélas! Pensai-je alors, la tristesse dans l'âme,
Humbles hommes, l'oubli sans pitié nous réclame,
Et, sitôt que la mort nous a remis à Dieu,
Le souvenir de nous ici nous survit peu;
Notre trace est légère et bien vite effacée;
Et moi, qui de ces morts garde encore la pensée,
Quand je m'endormirai comme eux, du temps vaincu,
Sais-je, hélas! Si quelqu'un saura que j'ai vécu?


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 29/10/2010

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Vous parleriez longtemps; il vous dirait son mal,
Vous lui diriez le vôtre, et vos ennuis au bal,
Vos vingt-cinq ans, le vide où leur fuite vous laisse;
Comment aux voeux légers succède la tristesse,
Et ce qui fit qu'un jour votre gaîté changea;
Puis vos loisirs, vos vers, - tout ce qu'il sait déjà;
Il irait au devant des phrases commencées,
Et vous l'écouteriez achever vos pensées.
Lui, sûr d'être compris pour la première fois,
Lisant dans vos regards, émus de votre voix,
Se sentirait moins prompt à rompre un noeud qu'il aime,
A refermer sa tombe, à se clore en lui-même;
Il oublierait qu'il n'est qu'un fantôme incertain,
L'ombre de ce qu'il fût à son riant matin;
Il vivrait, retrouvant un reste de jeune âge:
Les cieux sont plus brillants le soir d'un jour d'orage!
Il rouvrirait son toit au songe amoureux,
Et redeviendrait bon, fidèle et presque heureux.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 25/10/2010

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Italie


Oh! Jure de m'aimer; alors je te veux croire.
Rien n'est sûr ici-bas qu'un humide baiser,
Que le rayon tremblant d'une prunelle noire,
Que de sentir un sein sous la main s'apaiser;

Rien n'est sûr que de voir contre une épaule nue
Se briser en jouant des ondes de cheveux,
De cueillir les soupirs d'une bouche ingénue,
D'écouter succéder le silence aux aveux;

De l'entendre jurer quand tout change autour d'Elle,
Qu'un éternel amour doit pour vous l'enflammer,
Et de jurer aussi qu'on veut mourir fidèle...
Rien n'est sûr ici-bas, rien n'est bon que d'aimer!


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 25/10/2010

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Italie


Pour échapper aux maux que fait la destinée,
Pour jouir ici-bas des fleurs de ma saison,
Et doucement couler cette humaine journée,
Que me faut-il?... Du ciel, de l'onde et du gazon,

Et, quand pâlit au soir la lumière affaiblie,
Une amoureuse voix, qui meurt à mon côté,
Qui dit non bien souvent et bien souvent l'oublie,
Des pleurs dans deux beaux yeux, un beau sein agité.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 25/10/2010

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Après une lecture d'Adolphe


Pour nous, après causer, la volupté suprême,
Ce serait de nous lire un roman tour à tour:
Non pas quelque beauté captive en une tour,
D'éternels souterrains, des spectres et des chaînes,
Mais des romans de coeur pleins d'amoureuses peines,
Où l'art sait retracer, sous l'éclat de nos moeurs,
Ce mal délicieux dont je sens que je meurs,
Et dont tu meurs toi-même, ô ma belle complice,
Et dont mourut aussi Delphine après Clarisse!
Puis, le roman fermé, toujours, d'un air jaloux
Nous dirions: ces amants s'aimèrent moins que nous.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 25/10/2010

Catégories:

Après une lecture d'Adolphe


Passé vingt ans, quand l'âme aux rêves échappée
S'aperçoit un matin qu'elle s'était trompée,
Et, rejetant l'espoir d'un jeune et frais amour,
Se dit avec effroi qu'il est trop tard d'un jour,
Oh! Pourquoi, quelque part, en l'une des soirées
Où j'aime tant au son des valses adorées,
Au bruit des mots riants sortis des coeurs séduits,
M'asseoir et m'oublier et bercer mes ennuis,
Pourquoi ne pas enfin trouver une âme tendre,
Affligée elle-même et qui saurait m'entendre,
Deux yeux noirs d'où les pleurs auraient coulé longtemps,
Une brune, un peu pâle, ayant bientôt trente ans.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 25/10/2010

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A mr A. de L.


O toi qui sais ce que la terre
Enferme de triste aux humains,
Qui sais la vie et son mystère,
Et qui fréquentes, solitaire,
La nuit, d'invisibles chemins;

Toi qui sais l'âme et ses orages,
Comme un rocher son élément,
Comme un oiseau sait les présages,
Comme un pasteur des premiers ages
Savait d'abord le firmament;

Qui sais le bruit du lac où tombe
Une feuille échappée au bois,
Les bruits d'abeille et de colombe
Et l'océan avec sa trombe,
Et le ciel aux immenses voix.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Le rendez-vous (à mon ami Alfred de M.)


Mais moi, demain, lassé d'un bonheur trop facile,
Retrouvant le dégoût en mon âme indocile,
Moi, qui toujours poursuis en de vaines amours
Un même être rêvé qui m'échappe toujours,
Demain, le coeur saignant d'une plaie éternelle,
Malgré les doux serments relus dans sa prunelle,
Les baisers, les grands bras prêts à me retenir,
Demain, je sortirai pour ne plus revenir;
Car je foule la fleur sitôt qu'elle est ravie,
Et mon bonheur, à moi, n'est pas de cette vie.

Et, dès qu'il est éclos, ce penser odieux,
Comme un oiseau de nuit, vingt fois passe à mes yeux,
Obscurcissant mon ciel de son aile jalouse;
Et, que ce soit la vierge, ou la veuve, ou l'épouse,
Une ombre entre elle et moi, muette, vient s'asseoir,
Et sur ce lit corrompt le plaisir dès ce soir.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Voeu


Pour trois ans seulement, oh! Que je puisse avoir
Sur ma table un lait pur, dans mon lit un oeil noir,
Tout le jour du loisir; rêver avec des larmes;
Vers midi, me coucher à l'ombre des grands charmes;
Voir la vigne courir sur mon toit ardoisé,
Et mon vallon riant sous le coteau boisé;
Chaque soir m'endormir en ma douce folie,
Comme l'heureux ruisseau qui dans mon pré s'oublie;
Ne rien vouloir de plus, ne pas me souvenir,
Vivre à me sentir vivre!... Et la mort peut venir.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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La contredanse


Après dix ans passés, enfin je vous revois;
Après dix ans! C'est vous... Au bal, comme autrefois;
Oh! Venez et dansons; vous êtes belle encore;
Un riche et blanc soleil suit la vermeille aurore,
Et la rose inclinée, ouvrant aux yeux sa fleur,
Mêle un parfum suave à sa molle pâleur.
Laissez-là cet air froid; osez me reconnaître;
Souriez comme aux jours où, sous votre fenêtre,
Ecolier de douze ans, je ne sais quel espoir
Toujours me ramenait, rougissant de vous voir.
Levez ces yeux baissés et ces paupières blondes;
Donnez la main, donnez, et tous deux dans les rondes,
Parmi les pas, les chants, les rires babillards,
Devisons d'autrefois comme font les vieillards.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Le soir de la jeunesse


Car vous n'étiez plus seul; et la nuit étoilée,
Et la sèche bruyère encore échevelée,
Les longs sapins ombreux, les noirs sentiers des bois,
Tout prenait sous vos pas des couleurs et des voix;
Et lorsqu'après avoir marché longtemps ensemble,
Elle attachée à vous comme la feuille au tremble,
Vous tombiez sous un arbre, où la lune à l'entour
Répandait ses rayons comme des pleurs d'amour,
Et qu'elle vous parlait de promesse fidèle
Et de s'aimer toujours l'un l'autre; alors, près d'elle,
Sentant sur votre front ses beaux cheveux courir,
Vous avez clos les yeux et désiré mourir.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Adieux à la poésie


Adieu douleur longue et profonde;
Adieu tant de jours écoulés
A contempler l'écume et l'onde,
A méditer le vent qui gronde,
A pleurer les biens envolés!

Souvent, quand la brume abaissée
Obscurcira le ciel couvert,
Tu brilleras à ma pensée,
Etoile dans ma nuit placée,
O souvenir du mal souffert;

Et durant sa course nouvelle,
Mon âme prête à s'épuiser,
Vers le passé tournant son aile,
Comme une colombe fidèle,
Sur toi viendra se reposer.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Adieux à la poésie


Lieux de repos et de tristesse
Où j'espérais bientôt mourir,
De vous laisser qui donc me presse?
Quelle voix me parle sans cesse
Et de lutter et de souffrir?

C'est qu'on n'a pas pour tout partage
De soupirer et de rêver;
Que sur l'océan sans rivage
Il faut poursuivre son voyage,
Dût-on ne jamais arriver.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Sonnet


Quand l'avenir pour moi n'a pas une espérance,
Quand pour moi le passé n'a pas un souvenir,
Où puisse, dans son vol qu'elle a peine à finir,
Un instant se poser mon âme en défaillance;

Quand un jour pur jamais n'a lui sur mon enfance,
Et qu'à vingt ans ont fui, pour ne plus revenir,
L'Amour aux ailes d'or, que je croyais tenir,
Et la Gloire emportant les hymnes de la France;

Quand la pauvreté seule, au sortir du berceau,
M'a pour toujours marqué de son terrible sceau,
Qu'elle a brisé mes voeux, enchaîné ma jeunesse,

Pourquoi ne pas mourir? De ce monde trompeur
Pourquoi ne pas sortir sans colère et sans peur,
Comme on laisse un ami qui tient mal sa promesse.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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Premier amour


Printemps, que me veux-tu? Pourquoi ce doux sourire,
Ces fleurs dans tes cheveux et ces boutons naissants?
Pourquoi dans les bosquets cette voix qui soupire,
Et du soleil d'avril ces rayons caressants?

Printemps si beau, ta vue attriste ma jeunesse;
De biens évanouis tu parles à mon coeur;
Et d'un bonheur prochain ta riante promesse
M'apporte un long regret de mon premier bonheur.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 16/10/2010

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