Thématique citations : Le sonnet

75 Citations

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Le genre

En poésie, le sonnet est une sorte de défi: comment contraindre l'idée et l'élévation de sujet amenée par le poème dans un cadre restrictif ? De par sa structure imposée (deux quatrains, deux tercets), celui-ci rythme et cadence en effet le poème dans un espace limité - imposant par là même à l'auteur de concentrer en un nombre de vers réduits l'idée ou la sensation désirée par le poème pour aboutir à une conclusion qui apporte la touche finale à l'ensemble.

Ces contraintes font que le sonnet reste souvent agréable à lire: là où parfois des poèmes s'essouflent dans la longueur (et Dieu sait si certains poètes s'épanchent dans des vers sans fin et sans saveur), le sonnet quand à lui garde toute sa fraîcheur.

L'exercice de style

Ce qui ne veut pas dire que tous les sonnets sont d'une égale valeur, bien entendu. Ce qui différenciera un bon sonnet d'un moins bon est bien sûr avant tout les sentiments qu'il éveillera dans le lecteur (et là, c'est un ressenti personnel), mais également sa capacité à conserver la même intensité dans l'ensemble des vers qui le composent. Rien, en effet, ne gâche plus un sonnet qu'une entrée en matière faible dans les quatrains de départ ou une chute retombant platement dans la partie finale.
Toute la subtilité du sonnet consiste en la manière d'amener le lecteur à la conclusion finale - qui se doit en général d'être le point fort du sonnet - sans déprécier une partie ou l'autre du reste du sonnet.

Le roi des sonnets

Le type de vers employé dans le sonnet peut être varié, toutefois, à mon sens, un sonnet composé en alexandrins reste le summum de ce type d'exercice. L'alexandrin, qui est déjà une contrainte rythmique en lui-même, rajoute un degré de complexité à la réalisation de l'ensemble - exigeant de son auteur un art consommé. Le tout, bien maîtrisé et réalisé avec goût, peut relever du chef d'oeuvre.

En conclusion

On a beaucoup écrit sur le sonnet, ses styles, ses règles, il a aussi beaucoup évolué dans le temps - chacun ayant son idée bien précise des règles dictant sa composition. Pour les curieux désirant connaître plus en détail l'histoire du sonnet, comment il est apparu, les différentes formes qu'il a prises, je ne saurai trop conseiller de consulter la page wikipedia le concernant.  

Et pour finir, je ne peux m'empêcher de vous donner la définition du sonnet - fournie par Nicolas Boileau (un fervent défenseur du style, s'il en est) dans son ouvrage "l'art poétique":

On dit, à ce propos, qu'un jour ce dieu bizarre,
Voulant pousser à bout tous les rimeurs français,
Inventa du sonnet les rigoureuses lois,
Voulut qu'en deux quatrains de mesure pareille
La rime avec deux sons frappât huit fois l'oreille;
Et qu'ensuite six vers artistement rangés
Fussent en deux tercets par le sens partagés.
Surtout de ce poème il bannit la licence;
Lui-même en mesura le nombre et la cadence;
Défendit qu'un vers faible y pût jamais entrer,
Ni qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer.
Du reste il l'enrichit d'une beauté suprême:
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème.

Confiance


Quoi! Sans te soucier de l'océan qui gronde,
Tu veux ta place à bord, sur mon vaisseau perdu;
Et pour dire à Colomb qu'il a trouvé son monde,
Tu n'attends pas, enfant, qu'il en soit revenu!

Dans tes bras frémissants j'ai mis ma tête blonde.
J'ai bu ton souffle en feu, dans mon sein répandu;
Et, comme le pêcheur voit la perle sous l'onde,
Dans ton regard charmant j'ai vu ton coeur à nu.

Sois bénie, à jamais, pour cette foi sublime!
Sans redouter les flots je braverai l'abîme,
Puisque j'ai ton amour, comme une étoile, aux cieux.

Et mon nom restera, triomphant et sonore,
Afin que, dans mille ans, la terre sache encore,
Ô mon ange adoré, la couleur de tes yeux!


Par: Louis Bouilhet

Ajoutée par Savinien le 27/01/2022

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Lettre


Je suis très loin de vous, très loin, ma chère Aimée.
Comme la vie est dure aux pauvres amoureux!...
Trouvez-vous pas qu'ensemble on était bien heureux?
Ah! La chambre bien close, et tiède, et parfumée!

Écrivez-moi souvent. Dites-moi s'il fait beau,
Si vous m'aimez toujours, si nul ne me dérobe
Votre coeur?... Contez-moi votre nouvelle robe
Et si vous avez mis votre joli chapeau.

C'est affreux de songer le soir, petite amie,
Que loin, si loin de moi, vous êtes endormie.
Et je pense aux frisons serrés de votre cou,

A votre bouche, à vos yeux clairs, à votre rire...
Adieu, mon cher trésor. Je voulais vous écrire
Ceci, tout simplement: je vous aime beaucoup.


Par: Edmond Rostand

Ajoutée par Savinien le 19/05/2021

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Que vient-elle me dire, aux plus tendres instants,
En réponse aux soupirs d'une âme consumée,
Que vient-elle conter, ma folle Bien-aimée,
De charmes défleuris, de ravages du temps,

De bandeaux de cheveux déjà moins éclatants?
Qu'a-t-elle à me montrer sur sa tête embaumée,
Comme un peu de jasmin dans l'épaisse ramée,
Quelques rares endroits pâlis dés le printemps?

Qu'a-t-elle? Dites-moi; fut-on jamais plus belle?
Le désir la revêt d'une flamme nouvelle;
Sa taille est de quinze ans, ses yeux gagnent aux pleurs;

Et, pour mieux couronner ma jeune Fiancée,
Amour qui fait tout bien, docile à ma pensée,
Mêle à ses noirs cheveux quelque neige de fleurs.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 17/02/2021

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Par un ciel étoilé, sur ce beau pont des Arts,
Revenant tard et seul de la cité qui gronde,
J'ai mille fois songé que l'Éden en ce monde
Serait de mener là mon Ange aux doux regards;

De fuir boue et passants, les cris, le vice épars;
De lui montrer le ciel, la lune éclairant l'onde,
Les constellations dans leur courbe profonde
Planant sur ce vain bruit des hommes et des chars.

J'ai rêvé lui donner un bouquet au passage;
A la rampe accoudé, ne voir que son visage,
Ou l'asseoir sur ces bancs d'un mol éclat blanchis;

Et, quand son âme est pleine et sa voix oppressée,
L'entendre désirer de gagner le logis,
Suspendant à mon bras sa marche un peu lassée.


Par: Charles-Augustin Sainte-Beuve

Ajoutée par Savinien le 17/02/2021

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Plénitude


J'ai jeté le bâton coupé dans la forêt
Et je ne boirai plus de fontaine en fontaine;
Ma barque n'ira plus vers la rive lointaine
Où dans la brume d'or le cap brusque apparaît;

Partez, ô voyageurs, je reste sans regret!
A d'autres maintenant la voile et la carène
Avec toute la mer où chante la Sirène
Qui cache sous le flot son écailleux secret!

Je ne foulerai plus la poussière et la dalle
Et l'on n'entendra plus retentir ma sandale
Sur le parvis du temple où se dressent les Dieux;

L'Ombre descend. Ma vie aujourd'hui est étale
Et je ne veux plus voir d'autres astres aux cieux
Que celui qui rayonne en la nuit de vos yeux.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 07/01/2021

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Panneau


L'ingénieux Amour noue à mon cadre d'or
Sa couronne de fleurs et son carquois de flèches,
Car sa bouche, jadis, douce à mes lèvres fraîches,
Leur donna la couleur qui les empourpre encor.

Sous l'arceau du bosquet qui dresse son décor
A ma beauté, l'Automne avec ses feuilles sèches
Touche ma joue encor pareille au fard des pêches,
Et l'éclair de mes dents pourrait y mordre encor.

L'Amour, hélas! Vois-tu, ne fait pas d'immortelles;
La toile d'araignée ourdit à mes dentelles
Ses fils mystérieux qu'entrelace le temps,

Mais si la triste Mort m'effleura de son aile,
Le dieu qu'en sa jeunesse adora mon printemps
Me garde souriante et me voit toujours belle.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Le regret


Le feuillage jauni tremble aux branches lassées
Et la maison là-bas nous appelle au heurtoir,
Et côte à côte ainsi nous irons vers le soir
Où marchent devant nous nos heures enlacées.

Au reflet du cristal comme aux sources glacées,
Que le temps douloureux ou doux me fasse voir
Son rire à la fontaine ou sa ride au miroir,
Ton souvenir se mire à toutes mes pensées.

L'automne les disperse aux routes de la vie;
L'écorce se desquame et l'arbre s'exfolie
Et la ramure oscille au souffle qui l'émeut;

Et ses feuilles, au vent qui les parsème inertes,
Emportent, çà et là, chacune comme un peu
Du murmure amoindri de la cime déserte.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Le pas


L'Amour passe. Regarde, écoute, attends, espère;
Son pas mystérieux est partout en chemin
Et, visiteur du soir, du jour ou du matin,
Il sait ton seuil bruyant ou ton seuil solitaire.

Le voici. Devant lui, pour qu'il se désaltère,
Dispose sur la table où choisira sa main
La coupe de ta source ou l'outre de ton vin.
Il rira. Tu riras à ton tour pour lui plaire.

Dors en ses bras comme j'y dormis en pensant
Arrêter à jamais cet éternel Passant.
Il est debout déjà dans l'aube et toi tu dors,

Sans entendre tout bas se poser sur la dalle
Pour partir, et tandis que l'autre est nu encor,
L'un de ses pieds déjà chaussé de la sandale.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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La promenade


Je te donne cette heure; elle est à toi. Va-t'en.
Vis-la silencieuse et vis-la solitaire,
Et, pour un jour entier, sois à toi tout entière
Sans plus t'inquiéter de l'ombre où je t'attends.

Sois libre. Mon pas lourd, hélas! A trop souvent
Retardé ta jeunesse où tu marches légère
Dans le double sourire et la double lumière
De ce matin joyeux et de ton clair printemps.

Ce dur arbre tordu qui ressemble à ma vie
Abritera mon doute et ma mélancolie;
C'est là que j'attendrai venir le soir, heureux

Si le vent, pitoyable à mon songe morose,
Des fleurs que tu cueillis, hélas! Loin de mes yeux,
M'apporte le parfum et te laisse la rose.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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L'oisive


Ni tisseuse de lin, ni fileuse de laine...
La quenouille, le dé, l'aiguille ou le fuseau
Ne les sculpte aux parois de mon jeune tombeau,
Car ma vie en ses jours fut paresseuse et vaine.

Pour que ton souvenir me suive et se souvienne,
Lui faut-il le rouet, l'aiguille et le fuseau?
Pense au passé charmant où mon corps était beau...
Ni fileuse de lin, ni tisseuse de laine!

Non! Je n'ai pas ourdi mes oisives années,
Laborieusement, parmi leurs fleurs fanées;
Le vent les dispersa dès l'aurore, et, là-bas,

Regardes-en flotter, déjà presque invisibles,
Au fond de ta mémoire et à tes yeux ingrats,
Les souples fils errants qu'emporte l'air flexible.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Chrysilla


Lorsque l'heure viendra de la coupe remplie,
Déesse, épargne-moi de voir à mon chevet
Le temps tardif couper, sans pleurs et sans regret,
Le long fil importun d'une trop longue vie.

Arme plutôt l'Amour; Hélas! Il m'a haïe
Toujours et je sais trop que le cruel voudrait
Déjà que de mon coeur, à son suprême trait,
Coulât mon sang mortel sur la terre rougie.

Mais non! Que vers le soir en riant m'apparaisse,
Silencieuse, nue et belle, ma Jeunesse!
Qu'elle tienne une rose et l'effeuille dans l'eau;

J'écouterai l'adieu pleuré par la fontaine
Et, sans qu'il soit besoin de flèches ni de faulx,
Je fermerai les yeux pour la nuit souterraine.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Puella


Plains-moi, car je n'eus rien à donner à l'Amour,
Ni fleurs de mon Eté, ni fruits de mon Automne,
Et la terre où naquit mon destin sans couronne
N'a pas porté pour moi la rose ou l'épi lourd.

Les Fileuses qui font nos heures et nos jours
N'ont pas tissé non plus, pour que je la lui donne,
La tunique fertile où, naïve Pomone,
La vierge de ses seins sent mûrir le contour.

Je n'ai pu même offrir à ta divinité
La colombe de ma chétive nudité,
Car ma chair sans duvet n'eut pas tiédi ta main.

Amour! Tends-la au moins à l'obole fragile
Et prends cette médaille où, profil enfantin,
Mon visage anxieux sourit à fleur d'argile.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Sur l'eau


Je n'entends que le bruit de la rive et de l'eau,
Le chagrin résigné d'une source qui pleure
Ou d'un rocher qui verse une larme par heure,
Et le vague frisson des feuilles de bouleau.

Je ne sens pas le fleuve entraîner le bateau,
Mais c'est le bord fleuri qui passe, et je demeure;
Et dans le flot profond que de mes yeux j'effleure,
Le ciel bleu renversé tremble comme un rideau.

On dirait que cette onde en sommeillant serpente,
Oscille et ne sait plus le côté de la pente:
Une fleur qu'on y pose hésite à le choisir.

Et, comme cette fleur, tout ce que l'homme envie
Peut se venir poser sur le flot de ma vie
Sans désormais m'apprendre où penche mon désir.


Par: René Armand François Prudhomme (Sully Prudhomme)

Ajoutée par Savinien le 27/10/2020

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La folle


Errante, elle demande aux enfants d'alentour
Une fleur qu'elle a vue un jour en Allemagne,
Frêle, petite et sombre, une fleur de montagne.
Au parfum pénétrant comme un aveu d'amour.

Elle a fait ce voyage, et depuis son retour
L'incurable langueur du souvenir la gagne:
Sans doute un charme étrange et mortel accompagne
Cette fleur qu'elle a vue en Allemagne un jour.

Elle dit qu'en baisant la corolle on devine
Un autre monde, un ciel, à son odeur divine,
Qu'on y sent l'âme heureuse et chère de quelqu'un.

Plusieurs s'en vont chercher la fleur qu'elle demande,
Mais cette plante est rare et l'Allemagne est grande;
Cependant elle meurt du regret d'un parfum.


Par: René Armand François Prudhomme (Sully Prudhomme)

Ajoutée par Savinien le 27/10/2020

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L'inspiration


Un oiseau solitaire aux bizarres couleurs
Est venu se poser sur une enfant; mais elle,
Arrachant son plumage où le prisme étincelle,
De toute sa parure elle fait des douleurs;

Et le duvet moelleux, plein d'intimes chaleurs,
Épars, flotte au doux vent d'une bouche cruelle.
Or l'oiseau, c'est mon coeur; l'enfant coupable est celle,
Celle dont je ne puis dire le nom sans pleurs.

Ce jeu l'amuse, et moi j'en meurs, et j'ai la peine
De voir dans le ciel vide errer sous son haleine
La beauté de mon cœur pour le plaisir du sien!

Elle aime à balancer mes rêves sur sa tête
Par un souffle et je suis ce qu'on nomme un poète.
Que ce souffle leur manque et je ne suis plus rien.


Par: René Armand François Prudhomme (Sully Prudhomme)

Ajoutée par Savinien le 27/10/2020

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La nuit


A cette heure où les coeurs, d'amour rassasiés,
Flottent dans le sommeil comme de blanches voiles,
Entends-tu sur les bords de ce lac plein d'étoiles
Chanter les rossignols aux suaves gosiers?

Sans doute, soulevant les flots extasiés
De tes cheveux touffus et de tes derniers voiles,
Les coussins attiédis, les draps aux fines toiles
Baisent ton sein, fleuri comme un bois de rosiers?

Vois-tu, du fond de l'ombre où pleurent tes pensées,
Fuir les fantômes blancs des pâles délaissées,
Moins pâles de la mort que de leur désespoir?

Ou, peut-être, énervée, amoureuse et farouche,
Pieds nus sur le tapis, tu cours à ton miroir
Et des ruisseaux de pleurs coulent jusqu'à ta bouche.


Par: Théodore de Banville

Ajoutée par Savinien le 16/08/2020

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Conseil


Eh bien! Mêle ta vie à la verte forêt!
Escalade la roche aux nobles altitudes.
Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
Marche au hasard; gravis les sentiers les plus rudes.
Va devant toi, baisé par l'air des solitudes,
Comme une biche en pleurs qu'on effaroucherait.

Cueille la fleur agreste au bord du précipice.
Regarde l'antre affreux que le lierre tapisse
Et le vol des oiseaux dans les chênes touffus.

Marche et prête l'oreille en tes sauvages courses;
Car tout le bois frémit, plein de rythmes confus,
Et la Muse aux beaux yeux chante dans l'eau des sources.


Par: Théodore de Banville

Ajoutée par Savinien le 15/08/2020

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Amours d'Elise


D'où vient-il, ce lointain frisson d'épithalame?
Quels cieux ont déroulé leurs nappes de saphir?
Quel espoir inconnu m'anime? Quel zéphyr
A jeté dans ma vie errante un nom de femme?

Quel oiseau près de moi chante sa folle gamme?
Quel éblouissement s'enfuit, pour me ravir,
Comme le corail rose ou la perle d'Ophir
Que poursuit le plongeur bercé par une lame?

En vain de ma pensée effarouchant l'essor,
Je veux loin de vos yeux pleins d'étincelles d'or
L'entraîner, sur vos pas la rêveuse s'envole,

Et, pour que mon tourment renaisse, ardent phénix,
J'emporte dans mon coeur votre chère parole,
Comme un parfum subtil dans un vase d'onyx.


Par: Théodore de Banville

Ajoutée par Savinien le 15/08/2020

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La mort des amants


Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux;

Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.


Par: Charles Baudelaire

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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Parfum exotique


Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.


Par: Charles Baudelaire

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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Les deux bonnes soeurs


La Débauche et la Mort sont deux aimables filles,
Prodigues de baisers et riches de santé,
Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles
Sous l'éternel labeur n'a jamais enfanté.

Au poète sinistre, ennemi des familles,
Favori de l'enfer, courtisan mal renté,
Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmilles
Un lit que le remords n'a jamais fréquenté.

Et la bière et l'alcôve en blasphèmes fécondes
Nous offrent tour à tour, comme deux bonnes sœurs,
De terribles plaisirs et d'affreuses douceurs.

Quand veux-tu m'enterrer, Débauche aux bras immondes?
O Mort, quand viendras-tu, sa rivale en attraits,
Sur ses myrtes infects enter tes noirs cyprès?


Par: Charles Baudelaire

Ajoutée par Savinien le 13/03/2020

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A une passante


La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... Puis la nuit! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité?

Ailleurs, bien loin d'ici! Trop tard! Jamais peut-être!
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, à toi qui le savais!


Par: Charles Baudelaire

Ajoutée par Savinien le 10/03/2020

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La Belle Matineuse


Des portes du matin l'Amante de Céphale,
Ses roses épandait dans le milieu des airs,
Et jetait sur les cieux nouvellement ouverts
Ces traits d'or et d'azur qu'en naissant elle étale,

Quand la Nymphe divine, à mon repos fatale,
Apparut, et brilla de tant d'attraits divers,
Qu'il semblait qu'elle seule éclairait l'Univers
Et remplissait de feux la rive Orientale.

Le Soleil se hâtant pour la gloire des Cieux
Vint opposer sa flamme à l'éclat de ses yeux,
Et prit tous les rayons dont l'Olympe se dore.

L'Onde, la terre et l'air s'allumaient alentour
Mais auprès de Philis on le prit pour l'Aurore,
Et l'on crut que Philis était l'astre du jour.


Par: Vincent Voiture

 

Ajoutée par Savinien le 10/03/2020

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Mais si faut-il mourir, et la vie orgueilleuse,
Qui brave de la mort, sentira ses fureurs,
Les soleils hâleront ces journalières fleurs,
Et le temps crèvera cette ampoule venteuse.

Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,
Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs,
L'huile de ce tableau ternira ses couleurs,
Et les flots se rompront à la rive écumeuse.

J'ai vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux,
Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,
Où d'une ou d'autre part éclatera l'orage,

J'ai vu fondre la neige et ses torrents tarir,
Ces lions rugissants je les ai vu sans rage,
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.


Par: Jean de Sponde

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Le trophée


Au fond d'un val lunaire, en des sites agrestes
Où glissent des rayons de féeriques clartés.
Les amoureux perdus en tendres apartés
Cherchent l'endroit propice à la langueur des siestes.

Avec l'inquiétude errante de leurs gestes,
Des lutins épiant les amants abrités
Font craquer doucement les rameaux écartés
D'où pleuvent la rosée et les baumes célestes.

Et la forêt bleuit sous le ciel argentin,
Et dans cette paresse et ce repos des choses
Les Belles aux yeux gris dorment lèvres mi-closes;

Les couples enlacés s'éveillent le matin,
Et s'en vont, emportant dans leurs bras, pour trophées,
Des bouquets embaumés du vol divin des fées.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 09/12/2013

 

La nymphe endormie


Vous faites trop de bruits, Zéphires, taisez-vous,
Pour ne pas éveiller la belle qui repose;
Ruisseau qui murmurez, évitez les cailloux,
Et si le vent se tait, faites la même chose.

Mon coeur sans respirer, regardons à genoux
Sa bouche de corail, qui n'est qu'à demi-close,
Dont l'haleine innocente est un parfum plus doux
Que l'esprit de jasmin, de musc, d'ambre et de rose.

Ah que ces yeux fermés ont encore d'agrément!
Que ce sein demi-nu s'élève doucement!
Que ce bras négligé nous découvre de charmes!

O Dieux, elle s'éveille, et l'Amour irrité
Qui dormait auprès d'elle a déjà pris les armes
Pour punir mon audace et ma témérité.


Par: Georges de Scudéry

 

Ajoutée par Savinien le 06/02/2013

 

Aimez ou n'aimez pas


Aimez ou n'aimez pas, changez, soyez fidèle,
Tout cela pour Philis est fort indifférent;
Comme votre conquête a peu touché la belle,
Elle perd votre coeur ainsi qu'elle le prend.

L'on ne peut la nommer ni douce ni cruelle,
Son insensible esprit ne combat ni se rend;
Elle entend les soupirs que l'on pousse pour elle,
Mais ce coeur de rocher ne sait ce qu'il entend.

L'Amour, tout dieu qu'il est, avec toute sa flamme,
Ne dissoudra jamais les glaçons de son âme,
Et cette souche enfin n'aimera jamais rien.

O malheureux amant! O penser qui me tue!
Quel bizarre destin se rencontre le mien!
Comme Pygmalion j'adore ma statue.


Par: Georges de Scudéry

 

Ajoutée par Savinien le 06/02/2013

 

Description de la fameuse Fontaine de Vaucluse


Les vents, même les vents, qu'on entend respirer,
Et parmi ces rochers, et parmi ces ombrages,
Eux qui me font aimer ces aimables rivages,
Ont appris de Pétrarque à si bien soupirer.

Les flots, même les flots, qu'on entend murmurer,
Avec tant de douceur, dans des lieux si sauvages,
Imitent une voix qui charmait les courages,
Et parlent d'un objet qu'on lui vit adorer.

Au lieu même où je suis, mille innocents oiseaux
Nous redisent encor, près de ces claires eaux,
Ce que Laure disait à son amant fidèle:

Ici tout n'est que flamme; ici tout n'est qu'amour;
Tout nous parle de lui; tout nous entretient d'elle;
Et leur ombre erre encor en ce charmant séjour.


Par: Georges de Scudéry

 

Ajoutée par Savinien le 13/12/2012

 

Récompense


Savoir qu'on sera lu par les yeux doux des femmes
Et qu'elles presseront, pendant les soirs d'hiver,
Votre livre imprégné d'un rayon tiède et clair
Qui venant droit du coeur ira droit vers les âmes.

Et savoir qu'au contact de vos vers pleins de flammes
Un frisson sensuel glissera sur leur chair,
Et que, vous évoquant comme un inconnu cher,
Elles vous béniront dans leurs épithalames!

Et savoir qu'au printemps, sous les branches des bois,
Elles tiendront encore vos pages dans leurs doigts
Qu'enserre élégamment le cercle d'or des bagues;

Et qu'assises sur l'herbe, au rebord des fossés,
Elles prendront leur part de vos tristesses vagues
Et vous rendront les pleurs que vous avez versés!...


Par: Georges Rodenbach

Ajoutée par Savinien le 10/01/2012

 

C'est fait de mes destins; je commence à sentir
Les incommodités que la vieillesse apporte.
Déjà la pâle Mort pour me faire partir,
D'un pied sec et tremblant vient frapper à ma porte.

Ainsi que le Soleil sur la fin de son cours
Paraît plutôt tomber que descendre dans l'onde;
Lorsque l'homme a passé les plus beaux de ses jours,
D'une course rapide il passe en l'autre monde.

Il faut éteindre en nous tous frivoles désirs,
Il faut nous détacher des terrestres plaisirs
Où sans discrétion notre appétit nous plonge.

Sortons de ces erreurs par un sage conseil;
Et cessant d'embrasser les images d'un songe,
Pensons à nous coucher pour le dernier sommeil.


Par: François L'Hermite (Tristant L'hermite)

 

Ajoutée par Savinien le 19/09/2011

 

Epitaphe de mademoiselle de Conti, Marie de Bourbon


Tu vois, passant, la sépulture
D'un chef-d'oeuvre si précieux
Qu'avoir mille rois pour aïeux
Fut le moins de son aventure.

O quel affront à la nature,
Et quelle injustice des cieux,
Qu'un moment ait fermé les yeux
D'une si belle créature!

On doute pour quelle raison
Les destins si hors de saison
De ce monde l'ont appelée;

Mais leur prétexte le plus beau,
C'est que la terre était brûlée
S'ils n'eussent tué ce flambeau.


Par: François de Malherbe

 

Ajoutée par Savinien le 31/08/2011

 

Une


Sphinx aux yeux d'émeraude, angélique vampire,
Elle rêve sous l'or cruel de ses frissons;
La rougeur de sa bouche est pareille aux tisons.
Ses yeux sont faux, son coeur est faux, son amour pire.

Sous son front dur médite un songe obscur d'empire.
Elle est la fleur superbe et froide des poisons,
Et le péché mortel aux âcres floraisons
De sa chair vénéneuse en parfums noirs transpire.

Sur son trône, qu'un art sombre sut tourmenter,
Immobile, elle écoute au loin se lamenter
La mer des pauvres coeurs qui saignent ses blessures;

Et, bercée aux sanglots, elle songe, et parfois
Brûle d'un regard lourd, où couvent des luxures,
L'âme vierge du lis qui se meurt dans ses doigts.


Par: Albert Samain

 

Ajoutée par Savinien le 16/05/2011

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Sonnet consolant


Malheur aux pauvres! C'est l'argent qui rend heureux.
Les riches ont la force, et la gloire et la joie.
Sur leur nez orgueilleux c'est leur or qui rougeoie.
L'or mettrait du soleil même au front d'un lépreux.

Ils ont tout: les bons plats, les vieux vins généreux,
Les bijoux, les chevaux, le luxe qui flamboie,
Et les belles putains aux cuirasses de soie
Dont les seins provocants ne sont nus que pour eux.

Bah! Les pauvres, malgré la misère sans trêves,
Ont aussi leurs trésors: les chansons et les rêves.
Ce peu-là leur suffit pour rire quelquefois.

J'en sais qui sont heureux, et qui n'ont pour fortune
Que ces louis d'un jour nommés les fleurs des bois
Et cet écu rogné qu'on appelle la lune.


Par: Jean Richepin

 

Ajoutée par Savinien le 11/05/2011

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Sonnet morne


Il pleut, et le vent vient du nord.
Tout coule. Le firmament crève.
Un bon temps pour noyer son rêve
Dans l'océan noir de la mort!

Noyons-le. C'est un chien qui mord.
Houp! Lourde pierre et corde brève!
Et nous aurons enfin la trêve,
Le sommeil sans voeu ni remords.

Mais on est lâche; on se décide
A retarder le suicide;
On lit; on baille; on fait des vers;

On écoute, en buvant des litres,
La pluie avec ses ongles verts
Battre la charge sur les vitres.


Par: Jean Richepin

 

Ajoutée par Savinien le 11/05/2011

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A Maggy


Peut-être pourrions-nous nous aimer, ma petite,
Et goûter le bonheur charmant d'un tendre amour;
Mais il faut des brillants, des chapeaux Pompadour,
Et des mets truffés dans ce monde sybarite.

Si je dis que je t'aime et que mon coeur palpite
Quand je baise ta gorge au gracieux contour
Hélas! Je ne suis pas un banquier de Hambourg
Et tu me répondras; que tu t'en bats l'orbite.

Je voudrais te bâtir un frais cottage, au bout
D'un jardin parfumé d'aubépine et de rose
Pour que tu passes là contente le mois d'août.

Mais, l'homme propose et le louis d'or dispose...
Et je n'ai que mon coeur qui ne vaut pas grand chose
Et mon corps fatigué qui ne vaut rien du tout.


Par: Jean Moréas

 

Ajoutée par Savinien le 08/05/2011

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Le dahlia bleu


O créer avec fièvre un rien, quatorze vers
Délicats, spéciaux, rares, heureux d'éclore,
Un bouquet effaçant par le choix de sa flore
La vieille rhétorique et les jeunes pré verts!

Y mettre le secret de mon coeur, comme Arvers,
Et les vocables doux par lesquels on implore,
Et sous le nom vraiment rythmique, Hélène ou Laure,
Oser vous y parler d'amour, à mots couverts!

Vous les liriez, non pas comme ceux qu'on renomme,
Mais à mi-voix, en y mettant du vôtre, et comme
Ce sonnet sans défaut vaudrait bien un baiser,

Ayant touché le fin bristol du bout des lèvres,
Vous iriez, doucement, doucement, le poser
Sur l'étagère où sont vos tasses de vieux sèvres.


Par: Gaston Sénéchal

 

Ajoutée par Savinien le 05/05/2011

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La sépulture (à Georges Dumas)


Sans psaumes, sans larmes, sans bruit,
- Quand je serai mort - qu'on m'enterre
Dans cette plaine solitaire
Que, tout l'été, le soleil cuit.

Lieu sinistre que l'oiseau fuit
Et qu'enveloppe un lourd mystère.
Bien des fois, promeneur austère,
J'y viens rêver jusqu'à la nuit...

Je veux ma fosse en cette lande
Et que jamais croix ni guirlande
N'y dise où je dors sous les cieux,

Pour que, sur ma tombe aplanie,
Ce paysage triste aux yeux
Conserve sa monotonie.


Par: Fernand Icres (Fernand Cresy)

 

Ajoutée par Savinien le 05/05/2011

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Gamme nouvelle


Soit, je vais te chanter la mode nouvelle!
Sur les immenses mers, en proie aux flux vivants,
J'ai confié ma voile au désir qui m'appelle
Dans la paix de l'azur et les soleils levants.

Les autans ont fléchi le nénuphar rebelle,
Et la nymphe est songeuse au fond des bois mouvants.
Toi seule m'apparaît magnétiquement belle
Avec la fixité de tes yeux captivants.

Or je veux t'emporter dans ma barque furtive.
L'illusion fleurit, l'aube argente la rive;
Cypris a les flancs ronds, Pan est toujours debout.

La rose saigne, hélas! La brise est une lyre...
Mais, puisqu'on peut s'aimer sans parler pour rien dire,
Qu'est-ce que tout cela peut te faire, après tout?


Par: Clovis Hugues

 

Ajoutée par Savinien le 03/05/2011

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Quand je reposerai dans la fosse, tranquille,
Ayant autour de moi l'ombre éternellement;
Quand mes membres auront perdu le mouvement
Et mes orbites creux le regard qui scintille;

Cet être qui fut moi, ce pauvre rien fragile,
Oublié dormira - pour jamais ossement -
Et, loin du ciel voilé, silencieusement,
Rien ne remuera plus sous la couche d'argile.

Mais vous serez toujours, éternelle beauté,
Hors du trépas commun, de la caducité:
Votre corps ne peut pas mourir, étant mon âme!

Aussi, lorsqu'un beau soir d'amour, sur mon tombeau
Longuement passera l'ombre de cette femme,
Tu te réveilleras, squelette amant du Beau!


Par: Emile Goudeau

 

Ajoutée par Savinien le 03/05/2011

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Le dormeur du Val


C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent: où le soleil, de la montagne fière,
Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort: il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.

Les parfums ne font pas frisonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


Par: Arthur Rimbaud

 

Ajoutée par Savinien le 11/04/2011

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Epitaphe de monsieur le Comte de Charny, mort au siège de Montauban


Toi qui mets ton espoir aux honneurs de la terre,
Vois comme leur éclat se passe en peu de temps,
Qu'en vain l'homme propose, et que des plus contents
Le plus solide appui n'est que paille et que verre.

Charny, fils d'un guerrier, ou plutôt d'un tonnerre
Dont Henry terrassait l'audace des Titans,
A trouvé dans son lit, à l'âge de vingt ans,
Le trépas qu'il cherchait aux hasards de la guerre.

De te dire, passant, quelle était la vertu
Dont la nature avait son esprit revêtu,
Ce n'est point sur cela que sa gloire se fonde.

Ce que je t'en dirais lui ferait de l'ennui;
Juges-en par le soin qu'eut le Sauveur du monde
De nous l'ôter si tôt pour l'appeler à lui.


Par: Honorat de Bueil

Ajoutée par Savinien le 01/02/2011

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Epitaphe à Dame Louise de Bueil, abbesse de Boulieu


Celle de qui ce marbre est le dernier séjour
De la bonté du ciel avait eu tant de grâce
Que, ne pouvant goûter aucune chose basse,
Elle estima Dieu seul digne de son amour.

Pendant qu'elle a joui de la clarté du jour,
De ce parfait amant elle a suivi la trace,
Et toutefois ses ans ont borné leur espace
Que huit lustres entiers n'avaient pas fait leur tour.

Ne soit point étonné, toi qui plains ce dommage,
Si Dieu, qui fut l'auteur d'un si parfait ouvrage,
A permis que la mort l'ait si tôt abattu.

Crois que c'est un effet de sa bonté profonde
De n'avoir point souffert qu'une telle vertu
Endurât plus longtemps les misères du monde.


Par: Honorat de Bueil

Ajoutée par Savinien le 01/02/2011

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Epitaphe à son père


Celui de qui la cendre est dessous cette pierre
Avecque peu de bien acquit beaucoup d'honneur,
Fut grand par sa vertu plus que par son bonheur,
Aimé durant la paix et craint durant la guerre.

Quand les rois ont détruit avecque leur tonnerre
Le pouvoir des Titans, qui s'égalait au leur,
Aux campagnes de Mars on a vu sa valeur
Peupler les monuments et déserter la terre.

Après tant de travaux et de faits généreux,
Son esprit est au ciel, parmi les bienheureux,
Et ne peut désormais ni désirer ni craindre.

Passant, qui dans la France a son nom entendu,
En voyant son tombeau, garde-toi de le plaindre;
Plains plutôt le malheur de ceux qui l'ont perdu.


Par: Honorat de Bueil

Ajoutée par Savinien le 01/02/2011

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Je l'avais oublié: c'est aujourd'hui ta fête.
Toi qui sais mon amour, qui connais mon ardeur,
Pendant que tout le monde à te fêter s'apprête,
Tu m'accuses sans doute et blâme ma froideur!

Chacun t'offre un présent; chacun, selon son âge,
Te donne des bonbons ou t'apporte un bouquet;
Et moi, moi qui t'adore, hélas! Pour tout hommage
Je t'offrirais mon coeur, si je ne l'avais fait!

O Jeanne, ne crois pas que je t'aie oubliée;
Sache bien que mon âme à ton âme est liée
Par les liens puissants d'éternelles amours!

D'autres, quand vient ta fête, amants par politesse;
Peuvent t'aimer une heure, ô ma belle maîtresse:
Mais moi, pauvre amoureux, moi, je t'aime toujours!


Par: Henri-Charles Read

Ajoutée par Savinien le 15/01/2011

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Idéal


A chercher l'idéal j'ai consumé ma vie;
Au lieu du droit chemin, j'ai pris mille détours;
Déjà je suis sans force, et mon âme amollie
Ne se raffermira qu'aux célestes séjours.

Des passions j'ai bu le vin jusqu'à la lie;
Et pourtant j'ai vu fuir la saison des amours
Sans atteindre jamais l'image poursuivie,
Et marchant vers un but qui me fuyait toujours.

Je n'ai jamais connu de l'existence humaine
Que le mal, les tourments, la douleur et la haine,
Et je vis presque mort au milieu des vivants.

Ainsi, triste, inquiet, sans espoir, solitaire,
Et toujours incompris, j'ai passé sur la terre
En cherchant l'idéal, et j'ai perdu mon temps!


Par: Henri-Charles Read

Ajoutée par Savinien le 13/01/2011

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Primavera


Viens! Aujourd'hui l'hiver a fini ses ravages;
La neige, ruisselante encore au sein des fleurs
Goutte à goutte, à regret, laisse tomber ses pleurs;
Les oiseaux de leurs chants emplissent les bocages.

Viens! Partout on entend de langoureux ramages.
Les sureaux nous envoient leurs parfums enchanteurs;
Les bourgeons, exhalant leurs ardentes senteurs,
Ne craignent plus les vents et leurs fureurs sauvages.

Un doux soleil se joue aux branches des ormeaux,
Et jette un pâle éclat sur les jeunes rameaux;
Pas un souffle dans l'air: le printemps va renaître!

La nature aujourd'hui respire le bonheur.
Viens! Car déjà l'amour envahit tout mon être;
Viens! Tu vas ramener le printemps dans mon coeur.


Par: Henri-Charles Read

Ajoutée par Savinien le 13/01/2011

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A tes yeux


Telle, sur une mer houleuse, la frégate
Emporte vers le nord ses marins soucieux,
Telle mon âme nage, abimée en tes yeux,
Parmi leur azur pâle aux tristesses d'agate.

Car j'ai revu dans leur nuance délicate
Le mirage lointain des édens et des cieux
Plus doux que ferme à nos désirs audacieux
La figure voilée et sombre d'une Hécate.

Hélas! Courbons le front sous le poids des exils!
C'est en vain qu'aux genoux attiédis des amantes
Nous cherchons l'infini sous l'ombre de leurs cils.

Jamais rayon d'amour sur ces ondes dormantes
Ne vibrera sincère et pur, et les maudits
Ne retrouveront pas les anciens paradis.


Par: François Edouard Joachim Coppée

Ajoutée par Savinien le 13/01/2011

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Caprice attendri


Au paradis d'amour, mon enfant, je le sais,
On ne mord qu'une fois la pomme tentatrice;
Et nous portons tous deux l'ardente cicatrice
Du coup qui pour jamais jadis nous a blessés.

Mais pour ne plus avoir les espoirs insensés,
Il ne faut pourtant pas que tout bonheur périsse;
Nous savons le saisir encore dans un caprice,
Nous nous attendrissons une heure, et c'est assez.

Renouvelons, veux-tu? L'illusion charmante;
Jette-moi tes deux bras au cou, comme une amante,
Baise-moi sur la bouche et dis moi: « M'aimes-tu? »

Mon enfant, oublions l'éden et notre chute,
Et bénissons l'amour, si, pour une minute,
Nos yeux se sont mouillés et nos coeurs ont battu.


Par: François Edouard Joachim Coppée

Extrait de: Contes et poésies

Ajoutée par Savinien le 13/01/2011

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Sur une tombe au printemps


La vieille croix s'effrite au fond du cimetière,
Mais avril embellit le signe des douleurs;
La fauvette y fait halte, et de ses douces fleurs
Un sauvage églantier la couvre toute entière.

La voix du rossignol vaut bien une prière,
Et moins que la rosée un regret a de pleurs.
Dans ces parfums, dans ces chansons, dans ces couleurs,
On sent revivre ici l'immortelle matière.

O vieux mort oublié! De qui l'orgueil humain
A sans doute rêvé l'éternel lendemain
Au sein du paradis, dans les apothéoses,

Aujourd'hui n'as-tu pas un destin aussi beau,
Si ton esprit épars autour de ce tombeau
Chante avec les oiseaux et fleurit dans les roses?


Par: François Edouard Joachim Coppée

Extrait de: Contes et poésies

Ajoutée par Savinien le 11/01/2011

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Or dis-je bien, mon espérance est morte.
Or est-ce fait de mon aise et mon bien.
Mon mal est clair: maintenant je vois bien,
J'ai épousé la douleur que je porte.

Tout me court sus: rien ne me réconforte,
Tout m'abandonne et d'elle je n'ai rien,
Sinon toujours quelque nouveau soutien,
Qui rend ma peine et ma douleur plus forte.

Ce que j'attends, c'est un jour d'obtenir
Quelques soupirs des gens de l'avenir:
Quelqu'un dira dessus moi par pitié:

Sa dame et lui naquirent destinés,
Egalement de mourir obstinés,
L'un en rigueur, et l'autre en amitié.


Par: Etienne de La Boétie

 

Ajoutée par Savinien le 23/12/2010

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