Caractères et anecdotes
Chamfort était, depuis longtemps, en usage d’écrire chaque jour sur de petits carrés de papier, les résultats de ses réflexions, rédigés en maximes ; les Anecdotes qu’il avait apprises ; les faits servant à l’histoire des moeurs, dont il avait été témoin dans le monde ; enfin les mots piquants et les réparties ingénieuses qu’il avait entendus ou qui lui étaient échappés à lui-même. Tous ces petits papiers, il les jetait pêle-mêle dans des cartons. Il ne s’était ouvert à personne sur ce qu’il avait dessein d’en faire. Lorsqu’il est mort, ces cartons étaient en assez grand nombre, et presque tous remplis ; mais la plus grande partie fut vidée et enlevée, sans doute avant l’apposition des scellés. Le Juge de Paix renferma dans deux portefeuilles ce qu’il y trouva de reste. C’est du choix très-scrupuleux fait parmi cette espèce de débris, que j’ai tiré ce qui compose ce volume. Je fis donc, en suivant cette division établie par lui-même, un premier triage. La première partie se trouva très-abondante, et me parut susceptible d’être subdivisée par chapitres. La partie des Caractères était la plus faible, soit qu’il se fut moins exercé dans ce genre, soit qu’elle soit plus riche dans les très-nombreux papiers que je n’ai pas. Je la réunis à celle des Anecdotes, et ayant ainsi divisé le tout seulement en deux parties, je réduisis, par un examen sévère, à un seul volume, ce qui, si j’avais tout employé, en pouvait fournir plus de deux. J’ai éprouvé dans tout ce travail, aussi fastidieux que pénible, que l’amitié donne plus de patience que l’amour-propre, et que l’on peut prendre, pour la mémoire d’un ami, des soins qu’il paraîtrait insupportable de prendre pour soi-même. |