Citations de Le monde comme Volonté et comme Représentation, de Arthur Schopenhauer

16 Citations

Nous devrions ne jamais oublier que le présent seul est réel, que seul il est certain, et qu'au contraire l'avenir se présente toujours autre que nous ne le pensions et que le passé lui aussi a été différent; ce qui fait que, en somme, avenir et passé ont tous deux bien moins d'importance qu'il ne nous semble. Car le lointain, qui rapetisse les objets pour l'oeil, les surgrossit pour la pensée. Le présent seul est vrai et effectif; il est le temps réellement rempli, et c'est sur lui que repose exclusivement notre existence. Aussi doit-il toujours mériter à nos yeux un accueil de bienvenue; nous devrions goûter, avec la pleine conscience de sa valeur, toute heure supportable et libre de contrariétés ou de douleurs actuelles, c'est à dire ne pas la troubler par des visages qu'attristent des espérances déçues dans le passé ou des appréhensions pour l'avenir.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 14/05/2015

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Quand on veut évaluer la condition d'un homme au point de vue de sa félicité, ce n'est pas de ce qui le divertit, mais de ce qui l'afflige qu'on doit s'informer; car, plus ce qui l'afflige sera insignifiant en soi, plus l'homme sera heureux; il faut un certain état de bien-être pour être sensible à des bagatelles; dans le malheur, on ne les sent pas du tout.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 12/05/2015

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Le fou court après les plaisirs de la vie et trouve la déception; le sage évite les maux. Si malgré ces efforts il n'y parvient pas, la faute en est alors au destin et non à sa folie. Mais pour peu qu'il y réussisse, il ne sera pas déçu, car les maux qu'il aura écartés sont des plus réels. Dans le cas même où le détour fait pour leur échapper eût été trop grand et où il aurait sacrifié inutilement des plaisirs, il n'a rien perdu en réalité: car ces derniers sont chimériques, et se désoler de leur perte serait petit ou plutôt ridicule.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 12/05/2015

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C'est une consolation, dans la vieillesse, que d'avoir derrière soi le labeur de la vie. L'homme le plus heureux est donc celui qui parcourt sa vie sans douleurs trop grandes, soit au moral soit au physique, et non pas celui qui a eu pour sa part les joies les plus vives ou les jouissances les plus fortes. Vouloir mesurer sur celles-ci le bonheur d'une existence, c'est recourir à une fausse échelle. Car les plaisirs sont et restent négatifs; croire qu'ils rendent heureux est une illusion que l'envie entretient et par laquelle elle se punit elle-même. Les douleurs au contraire sont senties positivement, c'est leur absence qui est l'échelle du bonheur de la vie. Si, à un état libre de douleur vient s'ajouter encore l'absence de l'ennui, alors on atteint le bonheur sur terre dans ce qu'il a d'essentiel, car le reste n'est plus que chimères.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 11/05/2015

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La mort doit être considérée sans aucun doute comme le but véritable de la vie: au moment où elle se produit, se décide tout ce dont le cours entier de la vie n'était que la préparation et la préface. La mort est le résultat, le résumé de la vie, ou le total effectué qui énonce en une fois tout l'enseignement que la vie donnait en détail et par morceaux: elle nous apprend que toutes les aspirations, dont la vie est le phénomène, étaient chose inutile, vaine, pleine de contradictions, d'où le salut consiste à revenir.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 05/05/2015

 

C'est en apparence seulement que les hommes sont appelés en avant; en réalité ils sont poussés par derrière, ce n'est pas la vie qui les attire, mais c'est le besoin qui les presse et les fait marcher. La loi de motivation, comme toute causalité, est une pure forme du phénomène. - Pour le dire en passant, là est l'origine de ce côté comique, burlesque, grotesque et grimaçant de la vie: car un individu chassé en avant malgré lui se démène comme il peut, et la confusion qui en résulte produit souvent un effet bouffon; mais la souffrance cachée derrière ce voile n'en est pas moins sérieuse et réelle.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 05/05/2015

 

Disons-nous que de même la vie des oiseaux se passe en grande partie à opérer leurs longues et pénibles migrations, puis à bâtir leur nid, à apporter la nourriture à leurs poussins, destinés eux-mêmes, l'année suivante, à jouer le même rôle; qu'ainsi tout travaille toujours pour un avenir qui fait ensuite défaut, et pourrons-nous nous empêcher de chercher des yeux la récompense de tout cet art et de toute cette peine, le but dont l'image présente aux yeux des animaux les pousse à cette agitation incessante; pouvons-nous en un mot nous empêcher de demander: Quel est le résultat de tout cela? Quelle est la fin réalisée par l'existence animale qui demande toutes ces dispositions à perte de vue? - On ne peut rien nous montrer que la satisfaction de la faim et de l'instinct sexuel, et peut-être encore un court moment de bien-être, comme il est donné à tout animal d'en obtenir en partage, au milieu de ses misères et de ses efforts infinis. Si l'on met en regard d'une part l'ingéniosité inexprimable de la mise en oeuvre, la richesse indicible des moyens, et de l'autre, la pauvreté du résultat poursuivi et obtenu, on ne peut se refuser à admettre que la vie est une affaire dont le revenu ne couvre pas les frais.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 05/05/2015

 

La vérité, la voici: nous devons être misérables, et nous le sommes. Et la source principale des maux les plus graves qui atteignent l'homme, c'est l'homme même: homo homini lupus. Pour qui embrasse bien du regard cette dernière vérité, le monde apparaît comme un enfer, plus terrible que celui de Dante en ce que l'un doit y être le démon de l'autre.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 04/05/2015

 

Avec ses contrariétés petites, médiocres et grandes de chaque heure, de chaque jour, de chaque semaine et de chaque année, avec ses espérances déçues et ses accidents qui déjouent tous les calculs, la vie porte l'empreinte si nette d'un caractère propre à nous inspirer le dégoût, que l'on a peine à concevoir comment on a pu le méconnaître, et se laisser persuader que la vie existe pour être goûtée par nous avec reconnaissance et que l'homme est ici-bas pour vivre heureux.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 04/05/2015

 

Vraiment, on a peine à croire à quel point est insignifiante, vide de sens, aux yeux du spectateur étranger, à quel point est stupide et irréfléchie, de la part de l'acteur lui-même, l'existence que coulent la plupart des hommes: une attente sotte, des souffrances ineptes, une marche titubante, à travers les quatre âges de la vie, jusqu'à ce terme, la mort, en compagnie d'une procession d'idées triviales. Voilà les hommes: des horloges; une fois monté, cela marche sans savoir pourquoi; à chaque conception, à chaque engendrement, c'est l'horloge de la vie humaine qui se remonte, pour reprendre sa petite ritournelle, déjà répétée une infinité de fois, phrase par phrase, mesure par mesure, avec des variations insignifiantes.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 29/04/2015

 

Sans nous lasser, nous courons de désir en désir; en vain chaque satisfaction obtenue, en dépit de ce qu'elle promettait, ne nous satisfait point, le plus souvent ne nous laisse que le souvenir d'une erreur honteuse: nous continuons à ne pas comprendre, nous recommençons le jeu des Danaïdes; et nous voilà à poursuivre encore de nouveaux désirs.
Et cela va toujours ainsi, à l'infini, à moins, chose plus rare, et qui réclame quelque force de caractère, à moins que nous ne nous trouvions en face d'un désir que nous ne pouvons ni satisfaire ni abandonner: alors nous avons ce que nous cherchions, un objet que nous puissions en tout instant accuser, à la place de notre propre essence, d'être la source de nos misères; dès lors, nous sommes en querelle avec notre destinée, mais réconciliés avec notre existence même, plus éloignés que jamais de reconnaître que cette existence même a pour essence la douleur, et qu'un vrai contentement est chose impossible.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 28/04/2015

 

Entre les désirs et leurs réalisations s'écoule toute la vie humaine. Le désir, de sa nature, est souffrance; la satisfaction engendre bien vite la satiété: le but était illusoire: la possession lui enlève son attrait; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin; sinon, c'est le dégoût, le vide, l'ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin. - Quand le désir et la satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l'un et de l'autre, descend à son minimum: et c'est là la plus heureuse vie.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 28/04/2015

 

Ce qui fait l'occupation de tout être vivant, ce qui le tient en mouvement, c'est le désir de vivre. Eh bien, cette existence, une fois assurée, nous ne savons qu'en faire, ni à quoi l'employer! Alors intervient le second ressort qui nous met en mouvement, le désir de nous délivrer du fardeau de l'existence, de le rendre insensible, « de tuer le temps », ce qui veut dire fuir l'ennui. Aussi voyons-nous la plupart des gens à l'abri du besoin et des soucis, une fois débarrassés de tous les autres fardeaux, finir par être à charge à eux-mêmes, se dire, à chaque heure qui passe: autant de gagné! A chaque heure, c'est à dire à chaque réduction de cette vie qu'ils tenaient tant à prolonger; car à cette oeuvre ils ont jusque-là consacré toutes leurs forces.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 28/04/2015

 

Pour la plupart, la vie n'est qu'un combat perpétuel pour l'existence même, avec la certitude d'être enfin vaincus. Et ce qui leur fait endurer cette lutte avec ses angoisses, ce n'est pas tant l'amour de la vie, que la peur de la mort, qui pourtant est là, quelque part cachée, prête à paraître à tout instant. - La vie elle-même est une mer pleine d'écueils et de gouffres; l'homme, à force de prudence et de soin, les évite, et sait pourtant que, vînt-il à bout, par son énergie et son art, de se glisser entre eux, il ne fait ainsi que s'avancer peu à peu vers le grand, le total, l'inévitable et l'irrémédiable naufrage; qu'il a le cap sur le lieu de sa perte, sur la mort: voila le terme dernier de ce pénible voyage, plus redoutable à ses yeux que tant d'écueils jusque-là évités.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 25/04/2015

 

Chez la bête et chez l'homme, la même vérité éclate bien plus évidemment. Vouloir, s'efforcer, voilà tout leur être: c'est comme une soif inextinguible. Or tout vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur: c'est par nature, nécessairement, qu'ils doivent devenir la proie de la douleur. Mais que la volonté vienne à manquer d'objet, qu'une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l'ennui: leur nature, leur existence leur pèse d'un poids intolérable.
La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui: ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme. De là ce fait bien significatif par son étrangeté même: les hommes ayant placé toutes les douleurs, toutes les souffrances dans l'enfer, pour remplir le ciel n'ont plus trouvé que l'ennui.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 25/04/2015

 

Notre marche n'est, comme on sait, qu'une chute incessamment arrêtée: de même la vie de notre corps n'est qu'une agonie sans cesse arrêtée, une mort d'instant en instant repoussée; enfin, l'activité même de notre esprit n'est qu'un ennui que de moment en moment l'on chasse. A chaque gorgée d'air que nous rejetons, c'est la mort qui allait nous pénétrer, et que nous chassons: ainsi nous lui livrons bataille à chaque seconde, et de même, quoique à de plus longs intervalles, quand nous prenons un repas, quand nous dormons, quand nous nous réchauffons, etc. Enfin il faudra qu'elle triomphe: car il suffit d'être né pour lui échoir en partage; et si un moment elle joue avec sa proie, c'est en attendant de la dévorer. Nous n'en conservons pas moins notre vie, y prenant intérêt, la soignant, autant qu'elle peut durer: quand on souffle une bulle de savon, on y met tout le temps et les soins nécessaires; pourtant elle crèvera, on le sait bien.


Par: Arthur Schopenhauer

Ajoutée par Savinien le 25/04/2015