Citations de La légende des siècles, de Victor Hugo

50 Citations

Le mariage de Roland


C'est mon tour maintenant, et je vais envoyer
Chercher un autre estoc pour vous, dit Olivier.
Le sabre du géant Sinnagog est à Vienne.
C'est, après Durandal, le seul qui vous convienne.
Mon père le lui prit alors qu'il le défit.
Acceptez-le.
Roland sourit. - Il me suffit
De ce bâton. - Il dit, et déracine un chêne.
Sire Olivier arrache un orme dans la plaine
Et jette son épée, et Roland, plein d'ennui,
L'attaque. Il n'aimait pas qu'on vint faire après lui
Les générosités qu'il avait déjà faites.
Plus d'épées en leurs mains, plus de casques à leurs têtes.
Ils luttent maintenant, sourds, effarés, béants.
A grands coups de troncs d'arbre, ainsi que des géants.
Pour la cinquième fois, voici que la nuit tombe.
Tout à coup Olivier, aigle aux yeux de colombe,
S'arrête et dit: - Roland, nous n'en finirons point.
Tant qu'il nous restera quelque tronçon au poing,
Nous lutterons ainsi que lions et panthères.
Ne vaudrait-il pas mieux que nous devinssions frères?
Ecoute, j'ai ma soeur, la belle Aude au bras blanc,
Epouse-la.
- Pardieu! Je veux bien, dit Roland.
Et maintenant buvons, car l'affaire était chaude. -
C'est ainsi que Roland épousa la belle Aude.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 12/03/2020

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L'Italie - Ratbert


Tout est derrière lui maintenant; tout a fui;
L'ombre d'un siècle entier devant ses pas s'allonge;
Il semble des yeux suivre on ne sait quel grand songe:
Parfois, il marche et va sans entendre et sans voir.
Vieillir, sombre déclin! L'homme est triste le soir;
Il sent l'accablement de l'oeuvre finissante.
On dirait par instants que son âme s'absente,
Et va savoir là-haut s'il est temps de partir.

Tout homme ici-bas porte en sa main une chose
Où, du bien et du mal, de l'effet, de la cause,
Du genre humain, de Dieu, du gouffre, il sent le poids;
Le juge au front morose a son livre des lois,
Le roi son sceptre d'or, le fossoyeur sa pelle.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 06/10/2018

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Les chevaliers errants


La terre a vu jadis errer des paladins;
Ils flamboyaient ainsi que des éclairs soudains,
Puis s'évanouissaient, laissant sur les visages
La crainte, et la lueur de leurs brusques passages;
Ils étaient, dans des temps d'oppression, de deuil,
De honte, où l'infamie étalait son orgueil,
Les spectres de l'honneur, du droit, de la justice;
Ils foudroyaient le crime, ils souffletaient le vice;
On voyait le vol fuir, l'imposture hésiter,
Blêmir la trahison, et se déconcerter
Toute puissance injuste, inhumaine, usurpée,
Devant ces magistrats sinistres de l'épée;
Malheur à qui faisait le mal! Un de ces bras
Sortait de l'ombre avec ce cri: « Tu périras! »
Contre le genre humain et devant la nature,
De l'équité suprême ils tentaient l'aventure;
Prêts à toute besogne, à toute heure, en tout lieu,
Farouches, ils étaient les chevaliers de Dieu.
[...]
Qui les voyait passer à l'angle de son mur
Pensait à ces cités d'or, de brume et d'azur,
Qui font l'effet d'un songe à la foule effarée:
Tyr, Héliopolis, Solyme, Césarée.
Ils surgissaient du sud ou du septentrion,
Portant sur leur écu l'hydre ou l'alérion,
Couverts des noirs oiseaux du taillis héraldique,
Marchant seuls au sentier que le devoir indique,
Ajoutant au bruit sourd de leur pas solennel
La vague obscurité d'un voyage éternel,
Ayant franchi les flots, les monts, les bois horribles,
Ils venaient de si loin, qu'ils en étaient terribles;
Et ces grands chevaliers mêlaient à leurs blasons
Toute l'immensité des sombres horizons.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 06/10/2018

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Le mariage de Roland


Ils se battent - combat terrible ! - corps à corps.
Voilà déjà longtemps que leurs chevaux sont morts ;
Ils sont là seuls tous deux dans une île du Rhône,
Le fleuve à grand bruit roule un flot rapide et jaune,
Le vent trempe en sifflant les brins d'herbe dans l'eau.
L'archange saint Michel attaquant Apollo
Ne ferait pas un choc plus étrange et plus sombre ;
Déjà, bien avant l'aube, ils combattaient dans l'ombre.

Et, depuis qu'ils sont là, sombres, ardents, farouches,
Un mot n'est pas encore sorti de ces deux bouches.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 06/10/2018

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Le mariage de Roland


Qui, cette nuit, eût vu s'habiller ces barons,
Avant que la visière eût dérobé leurs fronts,
Eût vu deux pages blonds, roses comme des filles.
Hier, c'étaient deux enfants riant à leurs familles,
Beaux, charmants; - aujourd'hui, sur ce fatal terrain,
C'est le duel effrayant de deux spectres d'airain,
Deux fantômes auxquels le démon prête une âme,
Deux masques dont les trous laissent voir de la flamme.
Ils luttent, noirs, muets, furieux, acharnés.
Les bateliers pensifs qui les ont amenés,
Ont raison d'avoir peur et de fuir dans la plaine,
Et d'oser, de bien loin, les épier à peine,
Car de ces deux enfants, qu'on regarde en tremblant,
L'un s'appelle Olivier et l'autre a nom Roland.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 29/12/2017

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Les chevaliers errants


Soudain, au seuil lugubre apparaissent trois têtes
Joyeuses, et d'où sort une lueur de fêtes;
Deux hommes, une femme en robe de drap d'or.
L'un des hommes paraît trente ans; l'autre est encore
Plus jeune, et, sur son dos, il porte en bandoulière
La guitare où s'enlace une branche de lierre;
Il est grand et blond; l'autre est petit, pâle et brun;
Ces hommes, qu'on dirait faits d'ombre et de parfum,
Sont beaux, mais le démon dans leur beauté grimace;
Avril a de ces fleurs où rampe une limace.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 29/12/2017

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La vision de Dante


Et l'archange cria: - Trépassés! Trépassés!
Levez-vous, accourez, venez, comparaissez!
Voici l'instant où l'aigle aura peur des colombes.
O victimes! Sortez des nuits, sortez des tombes,
Sortez de terre en foule, à la hâte, à la fois!
Venez du fond des mers, venez du fond des bois,
Venez, celui qui saigne avec celui qui pleure!
Car le juge est assis pour punir, et c'est l'heure
Où les clairons du ciel sonnent aux quatre vents,
Et Dieu veut que les morts lui parlent des vivants.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 24/08/2010

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Le crapaud


Tout homme sur la terre, où l'âme erre asservie,
Peut commencer ainsi le récit de sa vie.
On a le jeu, l'ivresse et l'aube dans les yeux,
On a sa mère, on est des écoliers joyeux,
De petits hommes gais respirant l'atmosphère
A pleins poumons, aimés, libres, contents; que faire,
Sinon de torturer quelque être malheureux?
Le crapaud se traînait au fond du chemin creux.
C'était l'heure où des champs les profondeurs s'azurent.
Fauve, il cherchait la nuit; les enfants l'aperçurent
Et crièrent: - Tuons ce vilain animal,
Et puisqu'il est si laid, faisons-lui bien du mal! -


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 24/08/2010

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Tout le passé et tout l'avenir


On comprend le printemps, l'aube, le nid, la rose;
Mais pourquoi les glaçons? Pourquoi le houx morose?
Pourquoi l'autour, ce criminel?
Pourquoi cette ombre froide où le jour se termine?
Pourquoi la bête fauve, et pourquoi la vermine?
Pourquoi vous? Répond l'éternel.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 24/08/2010

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A l'homme


Laissant derrière moi les molles cités pleines
De femmes et de fleurs qui mêlent leurs haleines,
Et les palais remplis de rires, de festins,
De danses, de plaisirs, de feux jamais éteints,
Je fuis, et je préfère à toute cette fête
La rive du torrent farouche où le prophète
Vient boire dans le creux de sa main en été,
Pendant que le lion boit de l'autre côté.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 24/08/2010

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Ronsard


C'est pourquoi, belle, il faut qu'en ce vallon tu rêves.
Et je rends grâce à Dieu, car il fit plusieurs Eve,
Une aux longs cheveux d'or, une au sein bruni,
Une gaie, une tendre, et, quand il eut fini,
Ce Dieu, qui crée au fond toujours les mêmes choses,
Avec ce qui restait des femmes fit les roses.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 24/08/2010

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Aux rois


Est-ce que vous croyez que nous qui sommes là,
Nous que de tout son poids toujours l'ombre accabla,
Nous le noir genre humain farouche, nous la plèbe,
Nous, les forçats du sol, les captifs de la glèbe,
Nous qui, de lassitude expirants, n'avons droit
Qu'à la faim, à la soif, à l'indigence, au froid,
Qui, tués de travail, agonisons pour vivre,
Nous qu'à force d'horreur le destin sombre enivre;
Est-ce que vous croyez que nous vous aimons, vous!
Nous vassaux, vous les rois! Nous moutons, vous les loups!


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 24/08/2010

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Un voleur à un roi


Mais toi, quelle est ta peine? Aucune; et ton mérite?
Nul. On croit être grand, quoi! Parce qu'on hérite!
Ton père t'a laissé le monde en s'en allant.
Être né, quel effort! Avoir faim, quel talent:


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 24/08/2010

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Un voleur à un roi


Jouer la comédie est le faible de Dieu;
Il ne s'irrite pas, mais il se moque un peu;
C'est un poète; et l'homme est sa marionnette.
La naissance et la mort sont deux coups de sonnette,
L'un à l'entrée, et l'autre au départ du pantin;
Je ris avec le vieux machiniste Destin.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 24/08/2010

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Un voleur à un roi


Je suis né, laisse-moi te raconter ce conte,
Pour avoir faim toujours et n'avoir jamais honte,
Car ce n'est pas honteux de manger. Rien n'est vrai
Que la faim; et l'enfer, dont l'homme fait l'essai,
C'est l'éternel refus du pain fuyant les bouches;
Et c'est pourquoi je rôde au fond des bois farouches.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Un voleur à un roi


Vous êtes, sous le ciel par moments obscurci,
Un ambitieux, sire, et j'en suis un aussi;
Roi, nous avons, car l'homme est diversement ivre,
Le même but tous deux, c'est d'avoir de quoi vivre;
Il nous faut pour cela, suis-je sage? Es-tu fou?
A toi, prince, un royaume, à moi, penseur, un sou.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les mercenaires


Auriez-vous donc besoin de faste? Est-ce la pompe
Des parades, des cours, des galas qui vous trompe?
Mais alors, regardez. Est-ce que mes vallons
N'ont pas les torrents blancs d'écume pour galons?
Mai brode à mes rochers la passementerie
Des perles de rosée et des fleurs de prairie;
Mes vieux monts pour dorure ont le soleil levant;
Et chacun d'eux, brumeux, branle un panache au vent
D'où sort le roulement sinistre des tonnerres,
S'il vous faut, au milieu des forêts centenaires,
Une livrée, à vous les voisins du ciel bleu,
Pourquoi celle des rois, ayant celle de Dieu?


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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La rose de l'infante


Il avait pour soutien la force de la nuit;
L'ombre était le cheval de sa statue équestre.
Toujours vêtu de noir, ce tout puissant terrestre
Avait l'air d'être en deuil de ce qu'il existait;
Il ressemblait au sphinx qui digère et se tait,
Immuable; étant tout, il n'avait rien à dire.
Nul n'avait vu ce roi sourire; le sourire
N'étant pas plus possible à ces lèvres de fer
Que l'aurore à la grille obscure de l'enfer.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Le cycle pyrénéen


Noir ravin. Hors un coin vivant où retentit
Dans la forêt le son des buccins et des sistres,
Tout est désert. Halliers, bruit de feuilles sinistres,
Tristesse, immensité, c'est un de ces lieux là
Où se trouvait Caïn lorsque Dieu l'appela.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les quatre jours d'Elciis


Les yeux sous les sourcils, l'empereur très clément
Et très noble écouta l'homme patiemment,
Et consulta des yeux les rois; puis il fit signe
Au bourreau, qui saisit la hache.

- J'en suis digne,
Dit le vieillard, c'est bien, et cette fin me plaît. -
Et calme il rabattit de ses mains son collet,
Se tourna vers la hache, et dit: Je te salue.
Maîtres, je ne suis point de la taille voulue,
Et vous avez raison. Vous, princes, et vous, roi,
J'ai la tête de plus que vous, ôtez-la moi.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les quatre jours d'Elciis


O Dieu qui m'entendez, ces hommes sont hideux,
Certes, ils sont étonnés de nous comme nous d'eux.
Avez-vous fait erreur? Et que faut-il qu'on pense?
A qui le châtiment? A qui la récompense?
Quelle nuit! N'est-ce pas le plus dur des affronts
Que nous les preux ayons pour fils eux, les poltrons!
Et qu'abjects et rompant les anciens équilibres,
Eux les tyrans, soient nés de nous, les hommes libres;
Si bien que l'honnête homme est chargé du maudit
Et que le juste doit répondre du bandit!


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les quatre jours d'Elciis


Si vous vous êtes mis dans l'esprit qu'en ayant
Plus d'infamie, on est roi plus flamboyant,
Si vous vous figurez vos races rajeunies
Par vos férocités et vos ignominies,
Rois, je vous le redis, vous vous trompez; l'erreur
C'est de croire qu'un nom peut grandir par l'horreur,
La fraude et les forfaits accumulés sans cesse.
Une augmentation de honte et de bassesse,
D'ombre et de déshonneur n'accroit pas les maisons;
La fange n'a jamais redoré les blasons.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Welf, castellan d'Osbor


Oui, les femmes font faire aux hommes des sottises,
Roi d'Arles; mais j'ai, moi, c'est pourquoi je suis fort,
Pour épouse ma tour, pour amante la mort.
En guise de clairon l'ouragan m'accompagne.
Que peux-tu donc m'offrir qui vaille ma montagne,
César, roi des romains et des bohémiens?
Quand tu me donnerais ton aigle, j'ai les miens.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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L'Italie - Ratbert


Est-ce que tu m'en veux? C'est moi qui suis là! Dis,
Tu n'ouvriras donc plus tes yeux du paradis!
Je n'entendrai donc plus ta voix, pauvre petite!
Tout ce qui me tenait aux entrailles me quitte;
Et ce sera mon sort, à moi, le vieux vainqueur,
Qu'à deux reprises Dieu m'ait arraché le coeur,
Et qu'il ait retiré de ma poitrine amère
L'enfant, après m'avoir ôté du flanc la mère!


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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L'Italie - Ratbert


Ah! Le vautour est triste à voir, en vérité,
Déchiquetant sa proie et planant; on s'effraie
Du cri de la fauvette aux griffes de l'orfraie;
L'épervier est affreux rongeant des os brisés;
Pourtant, par l'ombre immense on les sent excusés,
L'impénétrable faim est la loi de la terre,
Et le ciel, qui connaît la grande énigme austère,
La nuit, qui sert de fond au guet mystérieux
Du hibou promenant la rondeur de ses yeux
Ainsi qu'à l'araignée ouvrant ses pâles toiles,
Met à ce festin sombre une nappe d'étoiles;
Mais l'être intelligent, le fils d'Adam, l'élu
Qui doit trouver le bien après l'avoir voulu,
L'homme exterminant l'homme et riant, épouvante,
Même au fond de la nuit, l'immensité vivante,
Et, que le ciel soit noir ou que le ciel soit bleu,
Caïn tuant Abel est la stupeur de Dieu.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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L'aigle du casque


Tout à coup on entend la trompe des montagnes,
Chant des bois plus obscur que le glas du beffroi;
Et brusquement on sent de l'ombre autour de soi;
Bien qu'on soit sous le ciel, on se croit dans un antre.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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L'aigle du casque


Dix ans, cela suffit pour que les chênes verts
Soient d'une obscurité plus épaisse couverts;
Dix ans, cela suffit pour qu'un enfant grandisse.
En dix ans, certes, Orphée oublierait Eurydice,
Admète son épouse et Thisbé son amant,
Mais pas un chevalier n'oublierait un serment.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Homo duplex


Un jour, le duc Berthold, neveu du comte Hugo,
Marquis du Rhin, seigneur de Fribourg en Brisgau,
Traversait en chassant la forêt de Thuringe.
Il vit, sous un grand arbre, un ange auprès d'un singe.
Ces deux êtres, pareils à deux lutteurs grondants,
Se regardaient l'un l'autre avec des yeux ardents;
Le singe ouvrait sa griffe et l'ange ouvrait son aile.
Et l'ange dit: - Berthold de Zoehringen, qu'appelle
Dans la verte forêt le bruit joyeux des cors,
Tu vois ici ton âme à côté de ton corps.
Ecoute, moi je suis ton esprit, lui ta bête.
Chacun de tes péchés lui fait lever la tête;
Chaque bonne action que tu fais me grandit.
Tant que tu vis, je lutte et j'étreins ce bandit;
A ta mort tout finit dans l'ombre ou dans l'aurore.
Car c'est moi qui t'enlève ou lui qui te dévore.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les trônes d'Orient


A ce cri, qu'apportait de toutes parts le vent,
Les tonnerres jetaient des grondements étranges,
Des flamboiements passaient sur les faces des anges,
Les grilles de l'enfer s'empourpraient, le courroux
En faisait remuer d'eux-mêmes les verrous,
Et l'on voyait sortir de l'abîme insondable
Une sinistre main qui s'ouvrirait formidable;
« Justice! » répétait l'ombre, et le châtiment
Au fond de l'infini se dressait lentement.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les chevaliers errants


Ces jeunes gens penchés sur cette jeune fille,
J'ai vu cela! Dieu bon, sont-ils de la famille
Des vivants, respirant sous ton clair horizon?
Sont-ce des hommes? Non. Rien qu'à voir la façon
Dont votre lèvre touche aux vierges endormies,
Princes, on sent en vous des goules, des lamies,
D'affreux êtres sortis des cercueils soulevés.
Je vous rend à la nuit. Tout ce que vous avez
De la face de l'homme est un mensonge infâme;
Vous avez quelque bête effroyable au lieu d'âme;
Sigismond l'assassin, Ladislas le forban,
Vous êtes des damnés en rupture de ban;
Donc lâchez les vivants et lâchez les empires!
Hors du trône, tyrans! A la tombe, vampires!
Chiens du tombeau, voyez le sépulcre. Rentrez.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les chevaliers errants


Tous les monts de la terre et tous les flots de l'onde
Ont, altiers ou tremblants, vos deux ombres sur eux;
Vous êtes les jumeaux du grand vertige heureux;
Vous avez la puissance et vous avez la gloire;
Mais, sous ce ciel de pourpre et sous ce dais de moire,
Sous cette inaccessible et haute dignité,
Sous cet arc de triomphe au cintre illimité,
Sous ce royal pouvoir, couvert de sacrés voiles,
Sous ces couronnes, tas de perles et d'étoiles,
Sous tous ces grands exploits, prompts, terribles, fougueux,
Sigismond est un monstre et Ladislas un gueux!


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les chevaliers errants


Hommes qui m'écoutez, il est un pacte sombre
Dont tout l'univers parle et que vous connaissez;
Le voici: Moi, Satan, dieu des cieux éclipsés,
Roi des jours ténébreux, prince des vents contraires,
Je contracte alliance avec mes deux bons frères,
L'empereur Sigismond et le roi Ladislas;
Sans jamais m'absenter ni dire: je suis las,
Je les protégerai dans toute conjoncture;
De plus, je cède, en libre et pleine investiture,
Etant seigneur de l'onde et souverain du mont,
La mer à Ladislas, la terre à Sigismond,
A la condition que, si je le réclame,
Le roi m'offre sa tête et l'empereur son âme.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les chevaliers errants


Si tu veux, faisons un rêve,
Montons sur deux palefrois;
Tu m'emmènes, je t'enlève.
L'oiseau chante dans les bois.

Je suis ton maître et ta proie;
Partons, c'est la fin du jour;
Mon cheval sera la joie,
Ton cheval sera l'amour.

Nous ferons toucher leurs têtes;
Les voyages sont aisés;
Nous donnerons à ces bêtes
Une avoine de baisers.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les chevaliers errants


- Vengeance! Mort! Rugit Rostabat le géant,
Nous sommes cent contre un. Tuons ce mécréant!

- Infants! Cria Roland, la chose est difficile;
Car Roland n'est pas un. J'arrive de Sicile,
D'Arabie et d'Egypte, et tout ce que je sais,
C'est que des peuples noirs devant moi sont passés;
Je crois avoir plané dans le ciel solitaire;
Il m'a semblé parfois que j'ai quitté la terre
Et l'homme, et que le dos monstrueux des griffons
M'emportait au milieu des nuages profonds;
Mais, n'importe, j'arrive, et votre audace est rare,
Et j'en ris. Prenez garde à vous, car je déclare,
Infants, que j'ai toujours senti Dieu près de moi.
Vous êtes cent contre un! Pardieu! Le bel effroi!
Fils, cent maravédis valent-ils une piastre?
Cent lampions sont-ils plus farouches qu'un astre?
Combien de poux faut-il pour manger un lion?
Vous êtes peu nombreux pour la rébellion
Et pour l'encombrement du chemin, quand je passe.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les chevaliers errants


Il ne sera pas dit que quelqu'un sur la terre,
Princes, m'aura vu faire une chose et la taire,
Et que, questionné, j'aurai balbutié.
Le hardi qui fait peur, muet, ferait pitié.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les sept merveilles du monde


Les ans fuyaient, les vents soufflaient; et le monument
Méditait, immobile et triste, et, par moment,
Toute l'humanité, comme une fourmilière,
Satrape au sceptre d'or, prêtre au thyrse de lierre,
Rois, peuples, légions, combats, trônes croulants,
Etait subitement visible sur ses flancs
Dans quelque déchirure immense des nuées.
Tout flottait sur sa base en ombres dénouées;
Et Chéops répéta: - Je suis l'éternité.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les sept merveilles du monde


Je suis l'Olympien, je suis le musagète;
Tout ce qui vit, respire, aime, pense et végète,
Végète, pense, vit, aime et respire en moi;
L'encens monte à mes pieds, mêlé d'un vague effroi;
L'angle de mon sourcil touche à l'axe du monde;
La tempête me parle avant de troubler l'onde;
Je dure sans vieillir, j'existe sans souffrir;
Je ne sais qu'une chose impossible: mourir.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les sept merveilles du monde


Les siècles, vénérable et triomphante épreuve,
A jamais en passant verront la grande veuve
Assise sur mon seuil, fantôme saint et doux;
Elle attend le moment d'aller, près de l'époux,
Se coucher dans le lit de la noce éternelle;
Elle pare son front d'ache et de fraxinelle,
Et se parfume afin de plaire à son mari;
Elle tient un miroir qui n'a jamais souri,
Et se met des anneaux aux doigts, et sous ses voiles
Peigne ses longs cheveux d'où tombent des étoiles.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les sept merveilles du monde


C'est dans nos bras, que n'a jamais touchés la faux,
Que cette reine a fait ses songes triomphaux;
Nos parfums ont parfois conseillé des supplices;
De ses enivrements nos fleurs furent complices;
Nos sentiers n'ont gardé qu'une trace, son pas.
Fils de Sémiramis, nous ne périrons pas;
Ce qu'assembla sa main, qui pourrait le disjoindre?
Nous regardons le siècle après le siècle poindre;
Nous regardons passer les peuples tour à tour;
Nous sommes à jamais, et jusqu'au dernier jour,
Jusqu'à ce que l'aurore au front des cieux s'endorme,
Les jardins monstrueux plein de sa joie énorme.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Aymerillot


Alors, levant la tête,
Se dressant tout debout sur ses grands étriers,
Tirant sa large épée aux éclairs meurtriers,
Avec un âpre accent plein de sourdes huées,
Pâle, effrayant, pareil à l'aigle des nuées,
Terrassant du regard son camp épouvanté,
L'invincible empereur s'écria: - Lâcheté!
O comtes palatins tombés dans ces vallées,
O géants qu'on voyait debout dans les mêlées,
Devant qui Satan même aurait crié merci,
Olivier et Roland, que n'êtes vous ici!
Si vous étiez vivants, vous prendriez Narbonne
Paladins! Vous, du moins, votre épée était bonne,
Votre coeur était haut, vous ne marchandiez pas!
Vous alliez de l'avant sans compter tous vos pas!
O compagnons couchés dans la tombe profonde,
Si vous étiez vivants, nous prendrions le monde!


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

Catégories:

Le Cid est le Cid


De quelque nom qu'il se nomme,
Nul n'est roi sous le ciel bleu
Plus qu'il n'est permis à l'homme
Et qu'il ne convient à Dieu.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Le Cid est le Cid


Don Sanche, une source coule
A l'ombre de mes donjons;
Comme le Cid dans la foule
Elle est pure dans les joncs.

Je n'ai pas d'autre vignoble;
Buvez-y; Je vous absous.
Autant que vous je suis noble
Et chevalier plus que vous.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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La chanson de Sophocle à Salamine


Toi dont le glaive est le ministre,
Toi que l'éclair suit dans les cieux,
Choisis-moi de ta main sinistre
Une belle fille aux doux yeux,

Qui ne sache pas autre chose
Que rire d'un rire ingénu,
Qui soit divine, ayant la rose
Aux deux pointes de son sein nu,

Et ne soit pas plus importune
A l'homme plein du noir destin
Que ne l'est au profond Neptune
La vive étoile du matin.

Donne-la-moi que je la presse
Vite sur mon coeur enflammé;
Je veux bien mourir, O déesse,
Mais pas avant d'avoir aimé.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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La découverte du Titan


Il avait traversé tout le dessous du monde.
Il avait dans les yeux l'éternité profonde.
Il se fit un silence inouï; l'on sentit
Que ce spectre était grand, car tout devint petit.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Booz endormi


Voilà longtemps que celle avec qui j'ai dormi,
O seigneur! A quitté ma couche pour la vôtre;
Et nous sommes encore tout mêlés l'un à l'autre,
Elle à demi vivante et moi mort à demi.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Booz endormi


Booz était bon maître et fidèle parent;
Il était généreux, quoiqu'il fût économe;
Les femmes regardaient Booz plus qu'un jeune homme,
Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

Le vieillard, qui revient vers la source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants;
Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l'oeil du vieillard on voit de la lumière.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Les lions


Quand la nuit eut noirci le grand firmament bleu,
Le gardien voulut voir la fosse, et cet esclave,
Collant sa face pâle aux grilles de la cave,
Dans sa profondeur vague aperçut Daniel
Qui se tenait debout et regardait le ciel,
Et songeait, attentif aux étoiles sans nombre,
Pendant que les lions léchaient ses pieds dans l'ombre.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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La conscience


Alors il dit: - Je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. -
On fit donc une fosse, et Caïn dit: c'est bien!
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Le sacre de la femme


Eve laissait errer ses yeux sur la nature.

Et, sous les verts palmiers à la haute stature,
Autour d'Eve, au dessus de sa tête, l'oeillet
Semblait songer, le bleu lotus se recueillait,
Le frais myosotis se souvenait; les roses
Cherchaient ses pieds avec leurs lèvres demi-closes;
Un souffle fraternel sortait du lys vermeil;
Comme si ce doux être eut été leur pareil,
Comme si de ces fleurs, ayant toutes une âme,
La plus belle s'était épanouie en femme.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 23/08/2010

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Le sacre de la femme


L'arbre, tout pénétré de lumière, chantait;
Chaque fleur, échangeant son souffle et sa pensée
Avec le ciel serein d'où tombe la rosée,
Recevait une perle et donnait un parfum;
L'Être resplendissait, Un dans Tout, Tout dans Un;
Le paradis brillait sous les sombres ramures
De la vie ivre d'ombre et pleine de murmures,
Et tout avait la grâce, ayant la pureté.


Par: Victor Hugo

Ajoutée par Savinien le 05/08/2010

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