Citations de Poésies, premières poésies, poésies philosophiques, de Louise Victorine Ackermann

18 Citations

Pascal, dernier mot


Aussi bien, jamais heure à ce point triste et morne
Sous le soleil des cieux n'avait encore sonné;
Jamais l'homme, au milieu de l'univers sans borne,
Ne s'est senti plus seul ni plus abandonné.
Déjà son désespoir se transforme en furie;
Il se traîne au combat sur ses genoux sanglants,
Et se sachant voué d'avance à la tuerie,
Pour s'achever plus vite ouvre ses propres flancs.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 28/12/2010

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Pascal, dernier mot


Pascal, à ce bourreau, toi, tu disais: mon Père.
Son odieux forfait ne t'a point révolté;
Bien plus, tu l'adorais sous le nom de mystère,
Tant le problème humain t'avait épouvanté.
Lorsque tu courbais sous la Croix qui t'accable,
Tu ne voulais, hélas! Qu'endormir ton tourment,
Et ce que tu cherchais dans un dogme implacable,
Plus que la vérité, c'était l'apaisement,
Car ta Foi n'était pas la certitude encore;
Aurais-tu tant gémi si tu n'avais douté?
Pour avoir reculé devant ce mot: j'ignore,
Dans quel gouffre d'erreurs t'es-tu précipité!
Nous, nous restons au bord. Aucune perspective,
Soit Enfer, soit Néant, ne fait pâlir nos fronts,
Et s'il faut accepter ta sombre alternative,
Croire ou désespérer, nous désespérerons.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 28/12/2010

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Pascal, dernier mot


Non à la Croix sinistre et qui fit de son ombre
Une nuit où faillit périr l'esprit humain,
Qui, devant le progrès se dressant haute et sombre,
Au vrai libérateur a barré le chemin;
Non à cet instrument d'un infâme supplice
Où nous voyons, auprès du divin Innocent,
Et sous les mêmes coups, expirer la Justice;
Non à notre salut s'il a coûté du sang.
Puisque l'Amour ne peut nous dérober ce crime,
Tout en l'enveloppant d'un voile séducteur,
Malgré son dévouement, non, même à la Victime,
Et non par-dessus tout au Sacrificateur!
Qu'importe qu'il soit Dieu si son oeuvre est impie?
Quoi? C'est son propre fils qu'il a crucifié?
Il pouvait pardonner, mais il veut qu'on expie;
Il immole, et cela s'appelle avoir pitié!


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 28/12/2010

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Pascal, dernier mot


Quand de son Golgotha, saignant sous l'auréole,
Ton Christ viendrait à nous, tendant ses bras sacrés,
Et quand il laisserait sa divine parole
Tomber pour les guérir en nos coeurs ulcérés;
Quand il ferait jaillir devant notre âme avide
Des sources d'espérance et des flots de clarté,
Et qu'il nous montrerait dans son beau ciel splendide
Nos trônes préparés de toute éternité,
Nous nous détournerions du Tentateur céleste
Qui nous offre son sang, mais veut notre raison.
Pour repousser l'échange inégal et funeste
Notre bouche n'aura jamais assez de non.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 28/12/2010

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Pascal, dernier mot


A plaisir sous nos yeux lorsque ta main déroule
Le tableau désolant des humaines douleurs,
Nous montrant qu'en ce monde où tout s'effondre et croule
L'homme lui-même n'est qu'une ruine en pleurs,
Ou lorsque, nous traînant de sommets en abîmes,
Entre deux infinis tu nous tiens suspendus,
Que ta voix, pénétrant en leurs fibres intimes,
Frappe à cris redoublés sur nos coeurs éperdus,
Tu crois que tu n'as plus dans ton ardeur fébrile,
Tant tu nous crois ébranlés, abêtis,
Qu'à dévoiler la Foi, monstrueuse et stérile,
Pour nous voir sur son sein tomber anéantis.
A quoi bon le nier? Dans tes sombres peintures,
Oui, tout est vrai, Pascal; nous le reconnaissons:
Voilà nos désespoirs, nos doutes, nos tortures,
Et devant l'Infini ce sont là nos frissons.
Mais parce qu'ici-bas par des maux incurables,
Jusqu'en nos profondeurs, nous serons atteints,
Et que nous succombons, faibles et misérables,
Sous le poids accablant d'effroyables destins,
Il ne nous resterait, dans l'angoisse où nous sommes,
Que courir embrasser cette Croix que tu tiens?
Ah! Nous ne pouvons point nous défendre d'être hommes
Mais nous nous refusons à devenir chrétiens.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 28/12/2010

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La nature à l'homme


Dans tout l'enivrement d'un orgueil sans mesure,
Ebloui des lueurs de ton esprit borné,
Homme, tu m'as crié: repose-toi, Nature;
Ton oeuvre est close: je suis né!

Quoi! Lorsqu'elle a l'espace et le temps devant elle,
Quand la matière est là, sous son doigt créateur,
Elle s'arrêterait, l'ouvrière immortelle,
Dans l'ivresse de son labeur?

Et c'est toi qui serais mes limites dernières?
L'atome humain pourrait entraver mon essor?
C'est à cet abrégé de toutes les misères
Qu'aurait tendu mon long effort?

Non, tu n'es pas mon but, non, tu n'es pas ma borne,
A te franchir déjà je songe en te créant;
Je ne viens pas du fond de l'éternité morne
Pour n'aboutir qu'à ton néant.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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Les malheureux


Quand de tes chérubins la phalange sacrée
Nous salûrait élus en ouvrant les saints lieux,
Nous leur crîrions bientôt d'une voix éplorée:
Nous élus? Nous heureux? Mais regardez nos yeux!
Les pleurs y sont encore, pleurs amers, pleurs sans nombre.
Ah! Quoi que vous fassiez, ce voile épais et sombre
Nous obscurcit vos cieux.

Contre notre gré pourquoi ranimer nos poussières?
Que t'en reviendra-t-il? Et que t'ont-elles fait?
Tes dons mêmes, après tant d'horribles misères,
Ne sont plus un bienfait.

Ah! tu frappas trop fort en ta fureur cruelle.
Tu l'entends, tu le vois, la Souffrance a vaincu.
Dans un sommeil sans fin, ô puissance éternelle!
Laisse-nous oublier que nous avons vécu.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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Les malheureux


Peut-être aurions-nous droit aux célestes délices;
Non, ce n'est point à nous de redouter l'enfer,
Car nos fautes n'ont pas mérité de supplices;
Si nous avons failli, nous avons tant souffert!
Eh bien! Nous renonçons même à cette espérance
D'entrer dans ton royaume et de voir tes splendeurs;
Seigneur, nous refusons jusqu'à ta récompense,
Et nous ne voulons pas du prix de nos douleurs.

Nous le savons, tu peux donner encore des ailes
Aux âmes qui ployaient sous un fardeau trop lourd;
Tu peux, lorsqu'il te plaît, loin des sphères mortelles
Les élever à toi dans la grâce et l'amour;
Tu peux, parmi les choeurs qui chantent tes louanges,
A tes pieds, sous tes yeux, nous mettre au premier rang,
Nous faire couronner par la main de tes anges,
Nous revêtir de gloire en nous transfigurant.
Tu peux nous pénétrer d'une vigueur nouvelle,
Nous rendre le désir que nous avions perdu...
Oui, mais le Souvenir, cette ronce immortelle,
Attachée à nos coeurs, l'en arracheras-tu?


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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Les malheureux


La trompette a sonné. Des tombes entrouvertes
Les pâles habitants ont tout à coup frémi.
Ils se lèvent, laissant ces demeures désertes
Où dans l'ombre et la paix leur poussière a dormi.
Quelques morts cependant sont restés immobiles;
Ils ont tout entendu, mais le divin clairon
Ni l'ange qui les presse à ces derniers asiles
Ne les arracheront.

Quoi! Renaître! Revoir le ciel et la lumière,
Ces témoins d'un malheur qui n'est point oublié,
Eux qui sur nos douleurs et sur notre misère
Ont souri sans pitié!

Non, non, plutôt la Nuit, la Nuit sombre, éternelle!
Fille du vieux Chaos, garde-nous sous ton aile;
Et toi, soeur du Sommeil, toi qui nous a bercés,
Mort, ne nous livre pas; contre ton sein fidèle
Tiens-nous bien embrassés.

Ah! L'heure où tu parus est à jamais bénie;
Sur notre front meurtri que ton baiser fut doux!
Quand tout nous rejetait, le néant et la vie,
Tes bras compatissants, ô notre unique amie!
Se sont ouverts pour nous.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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A la comète de 1861


Bel astre voyageur, hôte qui nous arrive
Des profondeurs du ciel et qu'on n'attendait pas,
Où vas-tu? Quel dessein pousse vers nous tes pas?
Toi qui vogues au large en cette mer sans rives,
Sur ta route, aussi loin que ton regard atteint,
N'as-tu vu comme ici que douleurs et misères?
Dans ces mondes épars, dis, avons-nous des frères?
T'ont-ils chargé pour nous de leur salut lointain?

Ah! Quand tu reviendras, peut-être de la terre
L'homme aura disparu. Du fond de ce séjour
Si son oeil ne doit pas contempler ton retour,
Si ce globe épuisé s'est éteint solitaire,
Dans l'espace infini poursuivant ton chemin,
Du moins jette au passage, astre errant et rapide,
Un regard de pitié sur le théâtre vide
De tant de maux soufferts et du labeur humain.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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Un autre coeur


Serait-ce un autre coeur que la Nature donne
A ceux qu'elle préfère et destine à vieillir,
Un coeur calme et glacé que toute ivresse étonne,
Qui ne saurait aimer et ne veut pas souffrir?

Ah! Qu'il ressemble peu, dans son repos tranquille,
A ce coeur d'autrefois qui s'agitait si fort!
Coeur enivré d'amour, impatient, mobile,
Au-devant des douleurs courant avec transport.

Il ne reste plus rien de cet ancien nous-mêmes;
Sans pitié ni remords le Temps nous l'a soustrait.
L'astre des jours éteints, cachant ses rayons blêmes,
Dans l'ombre qui l'attend se plonge et disparaît.

A l'horizon changeant montent d'autres étoiles.
Cependant, cher Passé, quelquefois un instant
La main du Souvenir écarte tes longs voiles,
Et nous pleurons encore en te reconnaissant.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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A Alfred de Musset


Lorsque le rossignol, dans la saison brûlante
De l'amour et des fleurs, sur la branche tremblante
Se pose pour chanter son mal cher et secret,
Rien n'arrête l'essor de sa plainte infinie,
Et de son gosier frêle un long jet d'harmonie
S'élance et se répand au sein de la forêt.

La voix mélodieuse enchante au loin l'espace...
Mais soudain tout se tait; le voyageur qui passe
Sous la feuille des bois sent un frisson courir.
De l'oiseau qu'entraînait une ivresse imprudente
L'âme s'est envolée avec la note ardente;
Hélas! Chanter ainsi c'était vouloir mourir!


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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A Alfred de Musset


Un poète est parti; sur sa tombe fermée
Pas un chant, pas un mot dans cette langue aimée
Dont la douceur divine ici-bas l'enivrait.
Seul, un pauvre arbre triste, à la pâle verdure,
Le saule qu'il rêvait, au vent du soir, murmure
Sur son ombre éplorée un tendre et long regret.

Ce n'est pas de l'oubli; nous répétons encore,
Poète de l'amour, ces chants que fit éclore
Dans ton âme éperdue un éternel tourment,
Et le Temps sans pitié qui brise de son aile
Bien des lauriers, le Temps d'une grâce nouvelle
Couronne en s'éloignant ton souvenir charmant.

Tu fus l'enfant choyé du siècle. Tes caprices
Nous trouvaient indulgents. Nous étions les complices
De tes jeunes écarts; tu pouvais tout oser.
De la Muse pour toi nous savions les tendresses,
Et nos regards charmés ont compté ses caresses,
De son premier sourire à son dernier baiser.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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La lyre d'Orphée


Quand Orphée autrefois, frappé par les Bacchantes,
Près de l'Hèbre tomba, sur les vagues sanglantes
On vit longtemps encore sa lyre surnager.
Le fleuve au loin chantait sous le fardeau léger.
Le gai zéphyr s'émut; ses ailes amoureuses
Baisaient les cordes d'or, et les vagues heureuses,
Comme pour l'arrêter, d'un effort doux et vain,
S'empressaient à l'entour de l'instrument divin.
Les récifs, les îlots, le sable à son passage
S'est revêtu de fleurs et cet âpre rivage
Voit soudain, pour toujours délivré des autans,
Au toucher de la lyre accourir le Printemps.

Ah! Que nous sommes loin de ces temps de merveilles!
Les ondes, les rochers, les vents n'ont plus d'oreilles,
Les coeurs mêmes, les coeurs refusent de s'ouvrir,
Et la lyre en passant ne fait plus rien fleurir.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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In memoriam


Ciel pur dont la douceur et l'éclat sont les charmes,
Monts blanchis, golfe calme aux contours gracieux,
Votre splendeur m'attriste, et souvent à mes yeux
Votre divin sourire a fait monter les larmes.
Du compagnon chéri que m'a pris le tombeau
Le souvenir lointain me suit sur ce rivage.
Souvent je me reproche, ô soleil sans nuage!
Lorsqu'il ne te voit plus, de t'y trouver si beau!


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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A une artiste


Puisque les plus heureux ont des douleurs sans nombre,
Puisque le sol est froid, puisque les cieux sont lourds,
Puisque l'homme ici-bas promène son coeur sombre
Parmi les vains regrets et les courtes amours,

Que faire de la vie? O notre âme immortelle!
Où jeter tes désirs et tes élans secrets?
Tu voudrais posséder, mais ici tout chancelle,
Tu veux aimer toujours, mais la tombe est si près!

Le meilleur est encore en quelque étude austère
De s'enfermer ainsi qu'en un monde enchanté,
Et dans l'art bien-aimé de contempler sur terre
Sous un de ses aspects, l'éternelle beauté.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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Le départ


Il est donc vrai? Je garde en quittant la patrie,
O profonde douleur! Un coeur indifférent.
Pas de regard aimé, pas d'image chérie,
Dont mon oeil au départ se détache en pleurant.

Ainsi partent tous ceux que le désespoir sombre
Dans quelque monde à part pousse à se renfermer,
Qui, voyant l'homme faible et les jours remplis d'ombre,
Ne se sont pas senti le courage d'aimer.

Pourtant, Dieu m'est témoin, j'aurai voulu sur terre
Rassembler tout mon coeur autour d'un grand amour,
Joindre à quelque destin mon destin solitaire,
Me donner sans regret, sans crainte, sans retour.

Ainsi ne croyez pas qu'avec indifférence
Je contemple s'éteindre, au plus beau de mes jours,
Des bonheurs d'ici-bas la riante espérance:
Bien que le coeur soit mort, on en souffre toujours.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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Adieux à la poésie


Mes pleurs sont à moi, nul au monde
Ne les a comptés ni reçus;
Pas un oeil étranger qui sonde
Les désespoirs que j'ai conçus.

L'être qui souffre est un mystère
Parmi ses frères ici-bas;
Il faut qu'il aille solitaire
S'asseoir aux portes du trépas.

J'irai seule et brisant ma lyre,
Souffrant mes maux sans les chanter;
Car je sentirais à les dire
Plus de douleur qu'à les porter.


Par: Louise Victorine Ackermann

Ajoutée par Savinien le 24/12/2010

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