Citations de Julie ou la Nouvelle Héloïse, de Jean-Jacques Rousseau

78 Citations

En achevant de relire ce recueil, je crois voir pourquoi l'intérêt, tout faible qu'il est, m'en est si agréable, et le sera, je pense, à tout lecteur d'un bon naturel: c'est qu'au moins ce faible intérêt est pur et sans mélange de peine; qu'il n'est point excité par des noirceurs, par des crimes, ni mêlé du tourment de haïr. Je ne saurais concevoir quel plaisir on peut prendre à imaginer et composer le personnage d'un scélérat, à se mettre à sa place tandis qu'on le représente, à lui prêter l'éclat le plus imposant. Je plains beaucoup les auteurs de tant de tragédies pleines d'horreurs, lesquels passent leur vie à faire agir et parler des gens qu'on ne peut écouter ni voir sans souffrir. Il me semble qu'on devrait gémir d'être condamné à un travail si cruel: ceux qui s'en font un amusement doivent être bien dévorés du zèle de l'utilité publique. Pour moi, j'admire de bon coeur leurs talents et leurs beaux génies; mais je remercie Dieu de ne me les avoir pas donnés.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 10/02/2017

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Les gueux sont malheureux parce qu'ils sont toujours gueux; les rois sont malheureux parce qu'ils sont toujours rois. Les états moyens, dont on sort plus aisément, offrent des plaisirs au-dessus et au-dessous de soi; ils étendent aussi les lumières de ceux qui les remplissent, en leur donnant plus de préjugés à connaître, et plus de degrés à comparer. Voilà, ce me semble, la principale raison pourquoi c'est généralement dans les conditions médiocres qu'on trouve les hommes les plus heureux et du meilleur sens.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 10/02/2017

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Tout prince qui aspire au despotisme aspire à l'honneur de mourir d'ennui. Dans tous les royaumes du monde, cherchez-vous l'homme le plus ennuyé du pays? Allez toujours directement au souverain; surtout s'il est très absolu. C'est bien la peine de faire tant de misérables! Ne saurait-il s'ennuyer à moindres frais?


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 10/02/2017

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Adieu, adieu, mon doux ami... Hélas! J'achève de vivre comme j'ai commencé. J'en dis trop peut-être en ce moment où le coeur ne déguise plus rien... Eh! Pourquoi craindrais-je d'exprimer tout ce que je sens? Ce n'est plus moi qui te parle; je suis déjà dans les bras de la mort. Quand tu verras cette lettre, les vers rongeront le visage de ton amante, et son coeur où tu ne seras plus. Mais mon âme existerait-elle sans toi? Sans toi quelle félicité goûterais-je? Non, je ne te quitte pas, je vais t'attendre. La vertu qui nous sépara sur la terre nous unira dans le séjour éternel. Je meurs dans cette douce attente: trop heureuse d'acheter au prix de ma vie le droit de t'aimer toujours sans crime, et de te le dire encore une fois!


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 21/02/2016

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Je me disais: « Cette petite chambre contient tout ce qui est cher à mon coeur, et peut-être tout ce qu'il y a de meilleur sur la terre; je suis environnée de tout ce qui m'intéresse; tout l'univers est ici pour moi; je jouis à la fois de l'attachement que j'ai pour mes amis, de celui qu'ils me rendent, de celui qu'ils ont l'un pour l'autre; leur bienveillance mutuelle ou vient de moi ou s'y rapporte; je ne vois rien qui n'étende mon être, et rien qui le divise; il est dans tout ce qui m'environne, il n'en reste aucune portion loin de moi; mon imagination n'a plus rien à faire, je n'ai rien à désirer; sentir et jouir sont pour moi la même chose; je vis à la fois dans tout ce que j'aime, je me rassasie de bonheur et de vie. O mort! Viens quand tu voudras, je ne te crains plus, j'ai vécu, je t'ai prévenue; je n'ai plus de nouveaux sentiments à connaître, tu n'as plus rien à me dérober. »


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 21/02/2016

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Sans vouloir entrer avec vous dans de nouvelles discussions sur l'ordre de l'univers et sur la direction des êtres qui le composent, je me contenterai de vous dire que, sur des questions si fort au-dessus de l'homme, il ne peut juger des choses qu'il ne voit pas, que par induction sur celles qu'il voit, et que toutes les analogies sont pour ces lois générales que vous semblez rejeter. La raison même, et les plus saines idées que nous pouvons nous former de l'Être suprême, sont très favorables à cette opinion ; car bien que sa puissance n'ait pas besoin de méthode pour abréger le travail, il est digne de sa sagesse de préférer pourtant les voies les plus simples, afin qu'il n'y ait rien d'inutile dans les moyens non plus que dans les effets. En créant l'homme, il l'a doué de toutes les facultés nécessaires pour accomplir ce qu'il exigeait de lui; et quand nous lui demandons le pouvoir de bien faire, nous ne lui demandons rien qu'il ne nous ait déjà donné. Il nous a donné la raison pour connaître ce qui est bien, la conscience pour l'aimer, et la liberté pour le choisir. C'est dans ces dons sublimes que consiste la grâce divine; et comme nous les avons tous reçus, nous en sommes tous comptables.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 21/02/2016

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Vous avez vu ce qui s'est passé durant trois mois à Clarens; vous avez vu deux hommes pleins d'estime et de respect l'un pour l'autre, éloignés par leur état et par leur goût des pointilleries de collège, passer un hiver entier à chercher dans des disputes sages et paisibles, mais vives et profondes, à s'éclairer mutuellement, s'attaquer, se défendre se saisir par toutes les prises que peut avoir l'entendement humain, et sur une matière où tous deux, n'ayant que le même intérêt, ne demandaient pas mieux que d'être d'accord.
Qu'est-il arrivé? Ils ont redoublé d'estime l'un pour l'autre, mais chacun est resté dans son sentiment. Si cet exemple ne guérit pas à jamais un homme sage de la dispute, l'amour de la vérité ne le touche guère; il cherche à briller.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 21/01/2016

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Les grandes passions usées dégoûtent des autres; la paix de l'âme qui leur succède est le seul sentiment qui s'accroît par la jouissance. Un coeur sensible craint le repos qu'il ne connaît pas: qu'il le sente une fois, il ne voudra plus le perdre. En comparant deux états si contraires, on apprend à préférer le meilleur; mais pour les comparer il les faut connaître.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 21/01/2016

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Nul n'est juge du danger qui vient de vous que vous-même. Réfléchissez-y bien, puis dites-moi qu'il n'existe pas, et je n'y pense plus: car je connais votre droiture, et ce n'est pas de vos intentions que je me défie. Si votre coeur est capable d'une faute imprévue, très sûrement le mal prémédité n'en approcha jamais. C'est ce qui distingue l'homme fragile du méchant homme.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 21/01/2016

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Chère amie, ne savez-vous pas que la vertu est un état de guerre, et que, pour y vivre, on a toujours quelque combat à rendre contre soi? Occupons-nous moins des dangers que de nous, afin de tenir notre âme prête à tout événement. Si chercher les occasions c'est mériter d'y succomber, les fuir avec trop de soin, c'est souvent nous refuser à de grands devoirs; et il n'est pas bon de songer sans cesse aux tentations, même pour les éviter.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 14/01/2016

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L'art d'interroger n'est pas si facile qu'on pense. C'est bien plus l'art des maîtres que des disciples; il faut avoir déjà beaucoup appris de choses pour savoir demander ce qu'on ne sait pas. Le savant sait et s'enquiert, dit un proverbe indien; mais l'ignorant ne sait pas même de quoi s'enquérir.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 14/01/2016

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La manière dont on passe ici le temps est trop simple et trop uniforme pour tenter beaucoup de gens; mais, c'est par la disposition du coeur de ceux qui l'ont adoptée qu'elle leur est intéressante. Avec une âme saine peut-on s'ennuyer à remplir les plus chers et les plus charmants devoirs de l'humanité, et à se rendre mutuellement la vie heureuse? Tous les soirs, Julie, contente de sa journée, n'en désire point une différente pour le lendemain, et tous les matins elle demande au ciel un jour semblable à celui de la veille; elle fait toujours les mêmes choses parce qu'elles sont bien, et qu'elle ne connaît rien de mieux à faire. Sans doute elle jouit ainsi de toute la félicité permise à l'homme. Se plaire dans la durée de son état, n'est-ce pas un signe assuré qu'on y vit heureux?


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 14/01/2016

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Je défie aucun homme sensé de contempler une heure durant le palais d'un prince et le faste qu'on y voit briller, sans tomber dans la mélancolie et déplorer le sort de l'humanité.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 12/01/2016

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Quand je vois qu'on a voulu faire un grand palais, je me demande aussitôt pourquoi ce palais n'est pas plus grand. Pourquoi celui qui a cinquante domestiques n'en a-t-il pas cent? Cette belle vaisselle d'argent, pourquoi n'est-elle pas d'or? Cet homme qui dore son carrosse, pourquoi ne dore-t-il pas ses lambris? Si ses lambris sont dorés, pourquoi son toit ne l'est-il pas? Celui qui voulut bâtir une haute tour faisait bien de la vouloir porter jusqu'au ciel; autrement il eût eu beau l'élever, le point où il se fût arrêté n'eût servi qu'à donner de plus loin la preuve de son impuissance. O homme petit et vain! Montre-moi ton pouvoir, je te montrerai ta misère.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 12/01/2016

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Comme le premier pas vers le bien est de ne point faire de mal, le premier pas vers le bonheur est de ne point souffrir.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 12/01/2016

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Il n'y a point de richesse absolue. Ce mot ne signifie qu'un rapport de surabondance entre les désirs et les facultés de l'homme riche. Tel est riche avec un arpent de terre, tel est gueux au milieu de ses monceaux d'or. Le désordre et les fantaisies n'ont point de bornes, et font plus de pauvres que les vrais besoins.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 11/01/2016

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Il faut une âme saine pour sentir les charmes de la retraite; on ne voit guère que des gens de bien se plaire au sein de leur famille et s'y renfermer volontairement; s'il est au monde une vie heureuse, c'est sans doute celle qu'ils y passent. Mais les instruments du bonheur ne sont rien pour qui ne sait pas les mettre en oeuvre, et l'on ne sent en quoi le vrai bonheur consiste qu'autant qu'on est propre à le goûter.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 11/01/2016

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Je ne crains pas les passions qui, nous faisant une guerre ouverte, nous avertissent de nous mettre en défense, nous laissent, quoi qu'elles fassent, la conscience de toutes nos fautes, et auxquelles on ne cède qu'autant qu'on leur veut céder. Je crains leur illusion qui trompe au lieu de contraindre, et nous fait faire, sans le savoir, autre chose que ce que nous voulons. On n'a besoin que de soi pour réprimer ses penchants, on a quelquefois besoin d'autrui pour discerner ceux qu'il est permis de suivre; et c'est à quoi sert l'amitié d'un homme sage, qui voit pour nous sous un autre point de vue les objets que nous avons intérêt à bien connaître. Songez donc à vous examiner, et dites-vous si, toujours en proie à de vains regrets, vous serez à jamais inutile à vous et aux autres, ou si, reprenant enfin l'empire de vous-même, vous voulez mettre une fois votre âme en état d'éclairer celle de votre ami.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 11/01/2016

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Il n'y a qu'un homme de bien qui sache l'art d'en former d'autres. Un hypocrite a beau vouloir prendre le ton de la vertu, il n'en peut inspirer le goût à personne; et, s'il savait la rendre aimable, il l'aimerait lui-même.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 05/01/2016

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Richesse ne fait pas riche, dit le Roman de la Rose. Les biens d'un homme ne sont point dans ses coffres, mais dans l'usage de ce qu'il en tire; car on ne s'approprie les choses qu'on possède que par leur emploi, et les abus sont toujours plus inépuisables que les richesses: ce qui fait qu'on ne jouit pas à proportion de sa dépense, mais à proportion qu'on la sait mieux ordonner.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 05/01/2016

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J'ai passé dans l'Élysée deux heures auxquelles je ne préfère aucun temps de ma vie. En voyant avec quel charme et quelle rapidité elles s'étaient écoulées, j'ai trouvé qu'il y a dans la méditation des pensées honnêtes une sorte de bien-être que les méchants n'ont jamais connu; c'est celui de se plaire avec soi-même. Si l'on y songeait sans prévention, je ne sais quel autre plaisir on pourrait égaler à celui-là. Je sens au moins que quiconque aime autant que moi la solitude doit craindre de s'y préparer des tourments. Peut-être tirerait-on des mêmes principes la clef des faux jugements des hommes sur les avantages du vice et sur ceux de la vertu. Car la jouissance de la vertu est tout intérieure, et ne s'aperçoit que par celui qui la sent; mais tous les avantages du vice frappent les yeux d'autrui, et il n'y a que celui qui les a qui sache ce qu'ils lui coûtent.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 05/01/2016

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Tu reçus du ciel cet heureux penchant à tout ce qui est bon et honnête: n'écoute que tes propres désirs, ne suis que tes inclinations naturelles; songe surtout à nos premières amours: tant que ces moments purs et délicieux reviendront à ta mémoire, il n'est pas possible que tu cesses d'aimer ce qui te les rendit si doux, que le charme du beau moral s'efface dans ton âme, ni que tu veuilles jamais obtenir ta Julie par des moyens indignes de toi. Comment jouir d'un bien dont on aurait perdu le goût? Non, pour pouvoir posséder ce qu'on aime, il faut garder le même coeur qui l'a aimé.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 04/01/2016

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Écoute-moi, jeune insensé: tu m'es cher, j'ai pitié de tes erreurs. S'il te reste au fond du coeur le moindre sentiment de vertu, viens, que je t'apprenne à aimer la vie. Chaque fois que tu seras tenté d'en sortir, dis en toi-même: « Que je fasse encore une bonne action avant que de mourir. » Puis va chercher quelque indigent à secourir, quelque infortuné à consoler, quelque opprimé à défendre. Rapproche de moi les malheureux que mon abord intimide; ne crains d'abuser ni de ma bourse ni de mon crédit; prends, épuise mes biens, fais-moi riche. Si cette considération te retient aujourd'hui, elle te retiendra encore demain, après-demain, toute ta vie. Si elle ne te retient pas, meurs: tu n'es qu'un méchant.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 04/01/2016

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Le crime assiège sans cesse l'homme le plus vertueux; chaque instant qu'il vit, il est prêt à devenir la proie du méchant ou méchant lui-même. Combattre et souffrir, voilà son sort dans ce monde; mal faire et souffrir, voilà celui du malhonnête homme. Dans tout le reste ils diffèrent entre eux, ils n'ont rien en commun que les misères de la vie. S'il vous fallait des autorités et des faits, je vous citerais des oracles, des réponses de sages, des actes de vertu récompensés par la mort. Laissons tout cela, milord; c'est à vous que je parle, et je vous demande quelle est ici-bas la principale occupation du sage, si ce n'est de se concentrer, pour ainsi dire, au fond de son âme, et de s'efforcer d'être mort durant sa vie. Le seul moyen qu'ait trouvé la raison pour nous soustraire aux maux de l'humanité n'est-il pas de nous détacher des objets terrestres et de tout ce qu'il y a de mortel en nous, de nous recueillir au dedans de nous-mêmes, de nous élever aux sublimes contemplations, et si nos passions et nos erreurs font nos infortunes, avec quelle ardeur devons-nous soupirer après un état qui nous délivre des unes et des autres? Que font ces hommes sensuels qui multiplient si indiscrètement leurs douleurs par leurs voluptés? Ils anéantissent, pour ainsi dire, leur existence à force de l'étendre sur la terre; ils aggravent le poids de leurs chaînes par le nombre de leurs attachements; ils n'ont point de jouissances qui ne leur préparent mille amères privations: plus ils sentent, et plus ils souffrent; plus ils s'enfoncent dans la vie, et plus ils sont malheureux.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 10/12/2015

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Il n'y a point de passion qui nous fasse une si forte illusion que l'amour: on prend sa violence pour un signe de sa durée; le coeur surchargé d'un sentiment si doux l'étend pour ainsi dire sur l'avenir, et tant que cet amour dure on croit qu'il ne finira point. Mais, au contraire, c'est son ardeur même qui le consume; il s'use avec la jeunesse, il s'efface avec la beauté, il s'éteint sous les glaces de l'âge; et depuis que le monde existe on n'a jamais vu deux amants en cheveux blancs soupirer l'un pour l'autre.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 10/12/2015

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Votre amante vous fut ôtée au moment que vous n'aviez plus de sentiments nouveaux à goûter auprès d'elle; comme si le sort eût voulu garantir votre coeur d'un épuisement inévitable, et vous laisser dans le souvenir de vos plaisirs passés un plaisir plus doux que tous ceux dont vous pourriez jouir encore.
Consolez-vous donc de la perte d'un bien qui vous eût toujours échappé, et vous eût ravi de plus celui qui vous reste. Le bonheur et l'amour se seraient évanouis à la fois; vous avez au moins conservé le sentiment: on n'est point sans plaisirs quand on aime encore. L'image de l'amour éteint effraye plus un coeur tendre que celle de l'amour malheureux, et le dégoût de ce qu'on possède est un état cent fois pire que le regret de ce qu'on a perdu.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 10/12/2015

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Je crois que le véritable amour a cet avantage aussi bien que la vertu, qu'il dédommage de tout ce qu'on lui sacrifie, et qu'on jouit en quelque sorte des privations qu'on s'impose par le sentiment même de ce qu'il en coûte, et du motif qui nous y porte. Vous vous témoignerez que Julie a été aimée de vous comme elle méritait de l'être, et vous l'en aimerez davantage, et vous en serez plus heureux. Cet amour-propre exquis qui sait payer toutes les vertus pénibles mêlera son charme à celui de l'amour. Vous vous direz: « Je sais aimer », avec un plaisir plus durable et plus délicat que vous n'en goûteriez à dire: « Je possède ce que j'aime », car celui-ci s'use à force d'en jouir; mais l'autre demeure toujours, et vous en jouiriez encore quand même vous n'aimeriez plus.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 09/12/2015

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Pénétré d'une douleur qui doit durer autant que moi, je me jette à vos pieds, Madame, non pour vous marquer un repentir qui ne dépend pas de mon coeur, mais pour expier un crime involontaire en renonçant à tout ce qui pouvait faire la douceur de ma vie. Comme jamais sentiments humains n'approchèrent de ceux que m'inspira votre adorable fille, il n'y eut jamais de sacrifice égal à celui que je viens faire à la plus respectable des mères; mais Julie m'a trop appris comment il faut immoler le bonheur au devoir; elle m'en a trop courageusement donné l'exemple, pour qu'au moins une fois je ne sache pas l'imiter. Si mon sang suffisait pour guérir vos peines, je le verserais en silence et me plaindrais de ne vous donner qu'une si faible preuve de mon zèle; mais briser le plus doux, le plus pur, le plus sacré lien qui jamais ait uni deux coeurs, ah! C'est un effort que l'univers entier ne m'eût pas fait faire, et qu'il n'appartenait qu'à vous d'obtenir.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 09/12/2015

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Je vous devais toute la franchise de l'amitié dans la situation critique où vous me paraissez être, de peur qu'un second pas vers le désordre ne vous y plongeât enfin sans retour, avant que vous eussiez le temps de vous reconnaître. Maintenant, je ne puis vous cacher, mon ami, combien votre prompte et sincère confession m'a touchée; car je sens combien vous a coûté la honte de cet aveu, et par conséquent combien celle de votre faute vous pesait sur le coeur. Une erreur involontaire se pardonne et s'oublie aisément. Quant à l'avenir, retenez bien cette maxime dont je ne me départirai point: qui peut s'abuser deux fois en pareil cas ne s'est pas même abusé la première.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 09/12/2015

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Vous voulûtes, dites-vous, mettre à profit cette soirée pour votre fonction d'observateur. Quel soin! Quel emploi! Que vos excuses me font rougir de vous! Ne serez-vous point aussi curieux d'observer un jour les voleurs dans leurs cavernes, et de voir comment ils s'y prennent pour dévaliser les passants? Ignorez-vous qu'il y a des objets si odieux qu'il n'est pas même permis à l'homme d'honneur de les voir, et que l'indignation de la vertu ne peut supporter le spectacle du vice? Le sage observe le désordre public qu'il ne peut arrêter; il l'observe, et montre sur son visage attristé la douleur qu'il lui cause. Mais quant aux désordres particuliers, il s'y oppose, ou détourne les yeux de peur qu'ils ne s'autorisent de sa présence. D'ailleurs, était-il besoin de voir de pareilles sociétés pour juger de ce qui s'y passe et des discours qu'on y tient? Pour moi, sur leur seul objet plus que sur le peu que vous m'en avez dit, je devine aisément tout le reste; et l'idée des plaisirs qu'on y trouve me fait connaître assez les gens qui les cherchent.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 08/12/2015

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Il n'est pas moins essentiel à la galanterie française de mépriser les femmes que de les servir. Ce mépris est une sorte de titre qui leur en impose: c'est un témoignage qu'on a vécu assez avec elles pour les connaître. Quiconque les respecterait passerait à leurs yeux pour un novice, un paladin, un homme qui n'a connu les femmes que dans les romans. Elles se jugent avec tant d'équité que les honorer serait être indigne de leur plaire; et la première qualité de l'homme à bonnes fortunes est d'être souverainement impertinent.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 08/12/2015

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C'est en cela, ma Julie, que la vérité qui blâme est plus honorable que la vérité qui loue; car la louange ne sert qu'à corrompre ceux qui la goûtent, et les plus indignes en sont toujours les plus affamés; mais la censure est utile, et le mérite seul sait la supporter.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 08/12/2015

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Les vertus privées sont souvent d'autant plus sublimes qu'elles n'aspirent point à l'approbation d'autrui, mais seulement au bon témoignage de soi-même; et la conscience du juste lui tient lieu des louanges de l'univers. Tu sentiras donc que la grandeur de l'homme appartient à tous les états, et que nul ne peut être heureux s'il ne jouit de sa propre estime; car si la véritable jouissance de l'âme est dans la contemplation du beau, comment le méchant peut-il l'aimer dans autrui sans être forcé de se haïr lui-même?


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 27/10/2015

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Quels hommes contemplais-tu donc avec le plus de plaisir? Desquels adorais-tu les exemples? Auxquels aurais-tu mieux aimé ressembler? Charme inconcevable de la beauté qui ne périt point! C'était l'Athénien buvant la ciguë, c'était Brutus mourant pour son pays, c'était Régulus au milieu des tourments, c'était Caton déchirant ses entrailles, c'étaient tous ces vertueux infortunés qui te faisaient envie, et tu sentais au fond de ton coeur la félicité réelle que couvraient leurs maux apparents. Ne crois pas que ce sentiment fût particulier à toi seul, il est celui de tous les hommes, et souvent même en dépit d'eux. Ce divin modèle que chacun de nous porte avec lui nous enchante malgré que nous en ayons; sitôt que la passion nous permet de le voir, nous lui voulons ressembler; et si le plus méchant des hommes pouvait être un autre que lui-même, il voudrait être un homme de bien.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 27/10/2015

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Vous qui savez si bien votre Épictète, lui dis-je, voici le cas ou jamais de l'employer utilement. Distinguez avec soin les biens apparents des biens réels, ceux qui sont en nous de ceux qui sont hors de nous. Dans un moment où l'épreuve se prépare au dehors, prouvez-lui qu'on ne reçoit jamais de mal que de soi-même, et que le sage, se portant partout avec lui, porte aussi partout son bonheur.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 27/10/2015

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Quoi! Milord, dit-il, un homme d'honneur comme vous peut-il seulement penser que le dernier rejeton d'une famille illustre aille éteindre ou dégrader son nom dans celui d'un quidam sans asile et réduit à vivre d'aumônes?... - Arrêtez, interrompit Édouard; vous parlez de mon ami, songez que je prends pour moi tous les outrages qui lui sont faits en ma présence, et que les noms injurieux à un homme d'honneur le sont encore plus à celui qui les prononce.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 24/10/2015

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Mais je veux que la valeur se montre dans les occasions légitimes, et qu'on ne se hâte pas d'en faire hors de propos une vaine parade comme si l'on avait peur de ne la pas retrouver au besoin. Tel fait un effort et se présente une fois pour avoir droit de se cacher le reste de sa vie. Le vrai courage a plus de constance et moins d'empressement; il est toujours ce qu'il doit être; il ne faut ni l'exciter ni le retenir: l'homme de bien le porte partout avec lui, au combat contre l'ennemi, dans un cercle en faveur des absents et de la vérité, dans son lit contre les attaques de la douleur et de la mort. La force de l'âme qui l'inspire est d'usage dans tous les temps; elle met toujours la vertu au-dessus des événements, et ne consiste pas à se battre, mais à ne rien craindre. Telle est, mon ami, la sorte de courage que j'ai souvent louée, et que j'aime à trouver en vous. Tout le reste n'est qu'étourderie, extravagance, férocité; c'est une lâcheté de s'y soumettre, et je ne méprise pas moins celui qui cherche un péril inutile, que celui qui fuit un péril qu'il doit affronter.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 24/10/2015

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Je veux jouir, et tu veux aimer; j'ai des transports, et toi de la passion; tous mes emportements ne valent pas ta délicieuse langueur, et le sentiment dont ton coeur se nourrit est la seule félicité suprême. Ce n'est que d'hier seulement que j'ai goûté cette volupté si pure. Tu m'as laissé quelque chose de ce charme inconcevable qui est en toi, et je crois qu'avec ta douce haleine tu m'inspirais une âme nouvelle. Hâte-toi, je t'en conjure, d'achever ton ouvrage. Prends de la mienne tout ce qui m'en reste, et mets tout à fait la tienne à la place. Non, beauté d'ange, âme céleste, il n'y a que des sentiments comme les tiens qui puissent honorer tes attraits: toi seule es digne d'inspirer un parfait amour, toi seul es propre à le sentir. Ah! Donne-moi ton coeur, ma Julie, pour t'aimer comme tu le mérites.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 24/10/2015

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Mon ami, mon digne ami, un rendez-vous manqué peut revenir mille fois, quelques heures agréables s'éclipsent comme un éclair et ne sont plus; mais, si le bonheur d'un couple honnête est dans tes mains, songe à l'avenir que tu vas te préparer. Crois-moi; l'occasion de faire des heureux est plus rare qu'on ne pense; la punition de l'avoir manquée est de ne plus la retrouver; et l'usage que nous ferons de celle-ci nous va laisser un sentiment éternel de contentement ou de repentir. Pardonne à mon zèle ces discours superflus; j'en dis trop à un honnête homme, et cent fois trop à mon ami. Je sais combien tu hais cette volupté cruelle qui nous endurcit aux maux d'autrui. Tu l'as dit mille fois toi-même: malheur à qui ne sait pas sacrifier un jour de plaisir aux devoirs de l'humanité!


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 13/10/2015

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J'avais promis de prendre soin de cette pauvre enfant; je la protégeais auprès de ma mère; je la tenais en quelque manière sous ma garde; et, pour n'avoir su me garder moi-même, je l'abandonne sans me souvenir d'elle, et l'expose à des dangers pires que ceux où j'ai succombé. Je frémis en songeant que deux jours plus tard c'en était fait peut-être de mon dépôt, et que l'indigence et la séduction perdaient une fille modeste et sage, qui peut faire un jour une excellente mère de famille. O mon ami! Comment y a-t-il dans le monde des hommes assez vils pour acheter de la misère un prix que le coeur seul doit payer, et recevoir d'une bouche affamée les tendres baisers de l'amour!


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 13/10/2015

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Non, garde tes baisers, je ne les saurais supporter... Ils sont trop âcres, trop pénétrants; ils percent, ils brûlent jusqu'à la moelle... Ils me rendraient furieux. Un seul, un seul m'a jeté dans un égarement dont je ne puis plus revenir. Je ne suis plus le même, et ne te vois plus la même. Je ne te vois plus comme autrefois réprimante et sévère; mais je te sens et te touche sans cesse unie à mon sein comme tu fus un instant. O Julie! Quelque sort que m'annonce un transport dont je ne suis plus maître, quelque traitement que ta rigueur me destine, je ne puis plus vivre dans l'état où je suis, et je sens qu'il faut enfin que j'expire à tes pieds... Ou dans tes bras.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 13/10/2015

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Sitôt qu'on veut rentrer en soi-même, chacun sent ce qui est bien, chacun discerne ce qui est beau; nous n'avons pas besoin qu'on nous apprenne à connaître ni l'un ni l'autre, et l'on ne s'en impose là-dessus qu'autant qu'on s'en veut imposer. Mais les exemples du très bon et du très beau sont plus rares et moins connus; il les faut aller chercher loin de nous. La vanité, mesurant les forces de la nature sur notre faiblesse, nous fait regarder comme chimériques les qualités que nous ne sentons pas en nous-mêmes; la paresse et le vice s'appuient sur cette prétendue impossibilité; et ce qu'on ne voit pas tous les jours, l'homme faible prétend qu'on ne le voit jamais. C'est cette erreur qu'il faut détruire, ce sont ces grands objets qu'il faut s'accoutumer à sentir et à voir, afin de s'ôter tout prétexte de ne les pas imiter. L'âme s'élève, le coeur s'enflamme à la contemplation de ces divins modèles; à force de les considérer, on cherche à leur devenir semblable, et l'on ne souffre plus rien de médiocre sans un dégoût mortel.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 12/10/2015

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O pureté que je respecte en murmurant, que ne puis-je ou vous rabaisser ou m'élever jusqu'à vous! Mais non, je ramperai toujours sur la terre, et vous verrai toujours briller dans les cieux. Ah! Soyez heureuse aux dépens de mon repos; jouissez de toutes vos vertus; périsse le vil mortel qui tentera jamais d'en souiller une! Soyez heureuse; je tâcherai d'oublier combien je suis à plaindre, et je tirerai de votre bonheur même la consolation de mes maux. Oui, chère amante, il me semble que mon amour est aussi parfait que son adorable objet; tous les désirs enflammés par vos charmes s'éteignent dans les perfections de votre âme; je la vois si paisible, que je n'ose en troubler la tranquillité. Chaque fois que je suis tenté de vous dérober la moindre caresse, si le danger de vous offenser me retient, mon coeur me retient encore plus par la crainte d'altérer une félicité si pure; dans le prix des biens où j'aspire, je ne vois plus que ce qu'ils vous peuvent coûter; et, ne pouvant accorder mon bonheur avec le vôtre, jugez comment j'aime, c'est au mien que j'ai renoncé.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 12/10/2015

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Je vous le dis sérieusement: comptez sur vous, ou chassez-moi, c'est-à-dire ôtez-moi la vie. J'ai pris un engagement téméraire. J'admire comment je l'ai pu tenir si longtemps; je sais que je le dois toujours; mais je sens qu'il m'est impossible. On mérite de succomber quand on s'impose de si périlleux devoirs. Croyez-moi, chère et tendre Julie, croyez-en ce coeur sensible qui ne vit que pour vous; vous serez toujours respectée: mais je puis un instant manquer de raison, et l'ivresse des sens peut dicter un crime dont on aurait horreur de sang-froid. Heureux de n'avoir point trompé votre espoir, j'ai vaincu deux mois, et vous me devez le prix de deux siècles de souffrances.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 12/10/2015

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Mon amie est absente, mon frère n'est plus; je ne trouve aucun protecteur au monde contre l'ennemi qui me poursuit; j'implore en vain le ciel, le ciel est sourd aux prières des faibles. Tout fomente l'ardeur qui me dévore; tout m'abandonne à moi-même, ou plutôt tout me livre à toi; la nature entière semble être ta complice; tous mes efforts sont vains, je t'adore en dépit de moi-même. Comment mon coeur, qui n'a pu résister dans toute sa force, céderait-il maintenant à demi? Comment ce coeur, qui ne sait rien dissimuler, te cacherait-il le reste de sa faiblesse? Ah! Le premier pas, qui coûte le plus; était celui qu'il ne fallait pas faire; comment m'arrêterais-je aux autres? Non; de ce premier pas je me sens entraîner dans l'abîme, et tu peux me rendre aussi malheureuse qu'il te plaira.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 09/10/2015

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Que ne pouvez-vous connaître combien cette froideur m'est cruelle! Vous me trouveriez trop puni. Avec quelle ardeur ne voudrais-je pas revenir sur le passé, et faire que vous n'eussiez point vu cette fatale lettre! Non, dans la crainte de vous offenser encore, je n'écrirais point celle-ci, si je n'eusse écrit la première, et je ne veux pas redoubler ma faute, mais la réparer. Faut-il, pour vous apaiser, dire que je m'abusais moi-même? Faut-il protester que ce n'était pas de l'amour que j'avais pour vous?... Moi, je prononcerais cet odieux parjure! Le vil mensonge est-il digne d'un coeur où vous régnez? Ah! Que je sois malheureux, s'il faut l'être ; pour avoir été téméraire, je ne serai ni menteur ni lâche, et le crime que mon coeur a commis, ma plume ne peut le désavouer.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 09/10/2015

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Qui ne peut se rendre heureux peut au moins mériter de l'être, et je saurai vous forcer d'estimer un homme à qui vous n'avez pas daigné faire la moindre réponse. Je suis jeune et peux mériter un jour la considération dont je ne suis pas maintenant digne. En attendant, il faut vous rendre le repos que j'ai perdu pour toujours, et que je vous ôte ici malgré moi. Il est juste que je porte seul la peine du crime dont je suis seul coupable. Adieu, trop belle Julie; vivez tranquille, et reprenez votre enjouement; dès demain vous ne me verrez plus. Mais soyez sûre que l'amour ardent et pur dont j'ai brûlé pour vous ne s'éteindra de ma vie, que mon coeur, plein d'un si digne objet, ne saurait plus s'avilir, qu'il partagera désormais ses uniques hommages entre vous et la vertu, et qu'on ne verra jamais profaner par d'autres feux l'autel où Julie fut adorée.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 09/10/2015

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En achevant de relire ce recueil, je crois voir pourquoi l'intérêt, tout faible qu'il est, m'en est si agréable, et le sera, je pense, à tout lecteur d'un bon naturel: c'est qu'au moins ce faible intérêt est pur et sans mélange de peine ; qu'il n'est point excité par des noirceurs, par des crimes, ni mêlé du tourment de haïr. Je ne saurais concevoir quel plaisir on peut prendre à imaginer et composer le personnage d'un scélérat, à se mettre à sa place tandis qu'on le représente, à lui prêter l'éclat le plus imposant. Je plains beaucoup les auteurs de tant de tragédies pleines d'horreurs, lesquels passent leur vie à faire agir et parler des gens qu'on ne peut écouter ni voir sans souffrir. Il me semble qu'on devrait gémir d'être condamné à un travail si cruel: ceux qui s'en font un amusement doivent être bien dévorés du zèle de l'utilité publique. Pour moi, j'admire de bon coeur leurs talents et leurs beaux génies; mais je remercie Dieu de ne me les avoir pas donnés.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 04/09/2015

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Ah, croyez que si je mettais un prix à la vie, c'était pour la passer avec vous! Ces mots prononcés avec tendresse m'émurent au point qu'en portant fréquemment à ma bouche ses mains que je tenais dans les miennes, je les sentis se mouiller de mes pleurs. Je ne croyais pas mes yeux faits pour en répandre. Ce furent les premiers depuis ma naissance; ce seront les derniers jusqu'à ma mort. Après en avoir versé pour Julie, il n'en faut plus verser pour rien.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 22/05/2012

 

L'inconstance et l'amour sont incompatibles: l'amant qui change, ne change pas; il commence ou finit d'aimer.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 21/05/2012

 

Je vous remercie de vos livres; mais je ne lis plus ceux que j'entends, et il est trop tard pour apprendre à lire ceux que je n'entends pas. Je suis pourtant moins ignorant que vous ne m'accusez de l'être. Le vrai livre de la nature est pour moi le coeur des hommes, et la preuve que j'y sais lire est dans mon amitié pour vous.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 21/05/2012

 

L'amour veut faire tout son progrès lui-même, il n'aime point que l'amitié lui épargne la moitié du chemin. Enfin, je l'ai dit autrefois, et j'ai lieu de le croire encore; on ne prend guère de baisers coupables sur la même bouche où l'on en prit d'innocents.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 21/05/2012

 

L'art d'interroger n'est pas si facile qu'on pense. C'est bien plus l'art des maîtres que des disciples; il faut déjà avoir beaucoup appris de choses pour savoir demander ce qu'on ne sait pas. Le savant sait et s'enquiert, dit un proverbe indien; mais l'ignorant ne sait pas même de quoi s'enquérir.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 20/05/2012

 

La vanité de l'homme est la source de ses plus grandes peines, et il n'y a personne de si parfait et si fêté, à qui elle ne donne encore plus de chagrins que de plaisirs.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 20/05/2012

 

Il y a une grande différence entre le prix que l'opinion donne aux choses et celui qu'elles ont réellement.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 20/05/2012

 

Elle prétend que tout ce qui tient au sens et n'est pas nécessaire à la vie change de nature aussitôt qu'il tourne en habitude, qu'il cesse d'être un plaisir en devenant un besoin, que c'est à la fois une chaîne qu'on se donne et une jouissance dont on se prive, et que prévenir toujours les désirs n'est pas l'art de les contenter mais de les éteindre.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 20/05/2012

 

Le premier pas vers le vice est de mettre du mystère aux actions innocentes, et quiconque aime à se cacher a tôt ou tard raison de se cacher.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 02/05/2012

 

La tristesse, l'ennui, les regrets, le désespoir sont des douleurs peu durables, qui ne s'enracinent jamais dans l'âme, et l'expérience dément toujours ce sentiment d'amertume qui nous fait regarder nos peines comme éternelles.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 02/05/2012

 

Laissons les maximes générales, dont on fait souvent beaucoup de bruit sans jamais en suivre aucune; car il se trouve toujours dans l'application quelque condition particulière, qui change tellement l'état des choses que chacun se croit dispensé d'obéir à la règle qu'il prescrit aux autres, et l'on sait bien que tout homme qui pose des maximes générales, entend qu'elles obligent tout le monde, excepté lui.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 02/05/2012

 

On n'aime point si l'on n'est aimé; du moins on n'aime pas longtemps. Ces passions sans retour qui font, dit-on, tant de malheureux ne sont fondées que sur les sens, si quelques unes pénètrent jusqu'à l'âme c'est par des rapports faux dont on est bientôt détrompé. L'amour sensuel ne peut se passer de la possession, et s'éteint par elle. Le véritable amour ne peut se passer du coeur, et dure autant que les rapports qui l'ont fait naître.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 02/05/2012

 

L'image de l'amour éteint effraie plus un coeur tendre que celle de l'amour malheureux, et le dégoût de ce qu'on possède est un état cent fois pire que le regret de ce qu'on a perdu.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 01/05/2012

 

Quand le bonheur commun devient impossible, chercher le sien dans celui de ce qu'on aime, n'est-ce pas tout ce qui reste à faire à l'amour sans espoir?


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 01/05/2012

 

Il y a comme cela une poignée d'impertinents qui ne comptent qu'eux dans tout l'univers et ne valent guère la peine qu'on les compte, si ce n'est pour le mal qu'ils font.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 01/05/2012

 

Il n'est point nécessaire de connaître le caractère des gens, mais seulement leurs intérêts, pour deviner à peu près ce qu'ils diront de chaque chose. Quand un homme parle, c'est pour ainsi dire, son habit et non pas lui qui a un sentiment, et il en changera sans façon tout aussi souvent que d'état. [...] Ainsi nul ne dit jamais ce qu'il pense, mais ce qu'il lui convient de faire penser à autrui, et le zèle apparent de la vérité n'est jamais en eux que le masque de l'intérêt.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 01/05/2012

 

Le lieu de la terre où je suis le plus loin de toi est celui où je ne puis rien faire qui m'en rapproche.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 30/04/2012

 

Oui, mon ami, nous serons unis malgré notre éloignement; nous serons heureux en dépit du sort. C'est l'union des coeurs qui fait leur véritable félicité; leur attraction ne connaît point la loi des distances, et les nôtres se toucheraient aux deux bouts du monde.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 30/04/2012

 

J'ai grand peur que celui qui dès la première vue me traite comme un ami de vingt ans, ne me traitât au bout de vingt ans comme un inconnu si j'avais quelque important service à lui demander; et quand je vois des hommes si dissipés prendre un intérêt si tendre à tant de gens, je présumerais volontiers qu'ils n'en prennent à personne.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 30/04/2012

 

Heureux dans ta disgrâce, tu trouves le plus précieux dédommagement qui soit connu des âmes sensibles. Le ciel, dans ton malheur te donne un ami, et te laisse à douter si ce qu'il te rend ne vaut pas mieux que ce qu'il t'ôte.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 23/04/2012

 

Ne manque pas au rendez-vous de demain. Jamais je n'eus si grand besoin de te voir, ni si peu d'espoir de te voir longtemps. Adieu, mon cher et unique ami. Tu n'as pas bien dit, ce me semble: vivons pour nous aimer. Ah! Il fallait dire: aimons-nous pour vivre.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 23/04/2012

 

On peut résister à tout, hors à la bienveillance, et il n'y a point de moyen plus sûr d'acquérir l'affection des autres que de leur donner la sienne.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 23/04/2012

 

Je n'ajouterai qu'une réflexion, qui l'emporte, à mon avis, sur la fausse raison du vice, sur les fières erreurs des insensés, et qui doit suffire pour diriger au bien la vie de l'homme sage; c'est que la source du bonheur n'est toute entière ni dans l'objet désiré ni dans le coeur qui le possède, mais dans le rapport de l'un et de l'autre; et que, comme tous les objets de nos désirs ne sont pas propres à produire la félicité, tous les états du coeur ne sont pas propres à la sentir. Si l'âme la plus pure ne suffit pas seule à son propre bonheur, il est plus sûr encore que toutes les délices de la terre ne sauraient faire celui d'un coeur dépravé.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 23/04/2012

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Tel est, mon ami, l'effet assuré des sacrifices qu'on fait à la vertu: s'ils coûtent souvent à faire, il est toujours doux de les avoir faits, et l'on n'a jamais vu personne se repentir d'une bonne action.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 17/04/2012

 

Cent fois en lisant des romans, j'ai ri des froides plaintes des amants sur l'absence. Ah, je ne savais pas alors à quel point la votre un jour me serait insupportable! Je sens aujourd'hui combien une âme paisible est peu propre à juger des passions, et combien il est insensé de rire des sentiments qu'on n'a point éprouvés.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 03/04/2012

 

Malheur à qui n'a plus rien à désirer! Il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède. On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère, et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 29/01/2012

 

Tant qu'on désire, on peut se passer d'être heureux; on s'attend à le devenir: si le bonheur ne vient point, l'espoir se prolonge, et le charme de l'illusion dure autant que la passion qui le cause.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 17/09/2011

 

A mesure qu'on avance en âge, tous les sentiments se concentrent. On perd tous les jours quelque chose de ce qui nous fut cher, et l'on ne le remplace plus. On meurt ainsi par degrés, jusqu'à ce que, n'aimant enfin que soi-même, on ait cessé de sentir et de vivre avant de cesser d'exister.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 06/07/2011

 

Quant aux filles c'est autre chose. Jamais fille chaste n'a lu de romans, et j'ai mis à celui-ci un titre assez décidé pour qu'en l'ouvrant on sût à quoi s'en tenir. Celle qui, malgré ce titre, en osera lire une seule page, est une fille perdue, mais qu'elle n'impute point sa perte à ce livre; le mal était fait d'avance. Puisqu'elle a commencé, qu'elle achève de lire, elle n'a plus rien à risquer.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 16/11/2010

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Tout honnête homme doit avouer les livres qu'il publie, je me nomme donc à la tête de ce recueil, non pour me l'approprier, mais pour en répondre. S'il y a du mal, qu'on me l'impute; s'il y a du bien, je n'entends point m'en faire honneur. Si le livre est mauvais, j'en suis plus obligé de le reconnaître: je ne veux pas passer pour meilleur que je ne suis.


Par: Jean-Jacques Rousseau

Ajoutée par Savinien le 16/11/2010

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