Citations de Henri François Joseph de Régnier

28 Citations

K.X. Roussel


Les dieux ne sont pas morts puisque l'homme est vivant.
Ils glissent dans la brise et passent dans le vent;
Les soirs et les matins sont pleins de leurs haleines,
Leurs voix parlent dans les sources et les fontaines
Et c'est par eux que tout est si mystérieux!
Leur peuple nous observe avec des milliers d'yeux
Ouverts sur nous avec la nuit ou la lumière;
Il en est dans les eaux, il en est dans la pierre,
Dans la flamme, dans les feuillages et partout.
Ils s'effacent, puis nous surprennent tout à coup
Dans l'aurore aussi bien que dans le crépuscule
Et dans l'ombre où leur foule innombrable circule.
La Naïade se baigne à la source où tu bois
Et le Faune t'épie à la corne du bois.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 07/01/2021

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Plénitude


J'ai jeté le bâton coupé dans la forêt
Et je ne boirai plus de fontaine en fontaine;
Ma barque n'ira plus vers la rive lointaine
Où dans la brume d'or le cap brusque apparaît;

Partez, ô voyageurs, je reste sans regret!
A d'autres maintenant la voile et la carène
Avec toute la mer où chante la Sirène
Qui cache sous le flot son écailleux secret!

Je ne foulerai plus la poussière et la dalle
Et l'on n'entendra plus retentir ma sandale
Sur le parvis du temple où se dressent les Dieux;

L'Ombre descend. Ma vie aujourd'hui est étale
Et je ne veux plus voir d'autres astres aux cieux
Que celui qui rayonne en la nuit de vos yeux.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 07/01/2021

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Odelette


Je n'ai qu'un très humble jardin
Et qui presque entier se reflète
Dans l'eau somnolente et muette
De l'étroit et calme bassin;

Il n'a ni vases ni statues
Et son allée est sans détours,
Mais il est à moi tous les jours
Avec son buis et ses laitues.

Pour son arbre et pour son bassin,
Son odeur de feuille et de terre
Et le carré de son parterre,
J'aime mon modeste jardin,

Car parfois, en chantant, s'y pose,
Dans le silence, un seul oiseau,
Et doucement, auprès de l'eau,
Y fleurit une seule rose.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 07/01/2021

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Odelette


Auprès de toute fontaine
Souvenez-vous qu'on entend
Chanter sa joie ou sa peine
En son flot intermittent,

Car son onde, qui sans cesse
Fuit, mire tour à tour
Votre regard, ô Tristesse,
Et votre visage, Amour!


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 07/01/2021

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Paroles du soir


J'aurai vécu. Mes yeux ne verront plus les choses
En leur même lumière et leur même beauté;
Je n'écouterai plus renaître avec les roses
Le chant voluptueux du rossignol d'été;

En sa robe d'argent, transparente et sonore,
Descendu jusqu'à moi des sommets du matin,
Je ne sentirai plus le frais vent de l'aurore
Caresser mon visage et passer sur mes mains.

Un soir viendra, d'hiver ou d'automne farouche,
Un soir qui n'aura plus d'autre soir après lui,
Où la cendre des jours, amère dans ma bouche,
Aura le goût de l'ombre et l'odeur de la nuit;

Et ce sera fini des choses de la terre
Et de tout ce qu'on serre entre ses bras fermés,
Mais qu'importe, s'il reste au passé qu'il éclaire
Le divin souvenir de vos yeux trop aimés!


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 07/01/2021

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Quatrains


Ce long jour fut sans vous, mélancolique et sombre
Puisque vos yeux charmants ne m'y ont pas souri
Et que le soleil meurt sans dessiner votre ombre
Au sable de l'allée et sur le mur fleuri...


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 07/01/2021

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Quatrains


Si ce jour d'été triste est presque un jour d'automne,
Ne laisse pas ton coeur y mêler son regret,
Mais songe à ton amour et que la vie est bonne,
Même lorsque le ciel est bas sur la forêt.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 07/01/2021

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Soir d'automne


La forêt se dépouille au vent froid de Novembre;
La feuille en tournoyant tombe dans l'air glacé,
Mais déjà luit la lampe aux vitres de la chambre;
Rentrons. Le soir est proche et ce jour est passé.

Rentrons. Le doux seuil s'ouvre à nos courses errantes
Et la source fut pure où nos lèvres ont bu
Et nous gardons en nous, captives et vivantes,
Les heures de l'été que nous avons vécu.

Qu'importe maintenant si l'automne cruelle
Décline vers l'hiver et si le soir est là,
Puisque le foyer clair et la lampe fidèle
Nous offrent leur pensif et leur ardent éclat,

Et puisqu'en nos deux coeurs qui ne font plus qu'une âme
Où ne peuvent plus rien les destins inconstants,
Un si beau souvenir brûle sa double flamme,
Plus divin que la vie et plus fort que le temps!


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 07/01/2021

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Le bonheur


Si tu veux être heureux, ne cueille pas la rose
Qui te frôle au passage et qui s'offre à ta main;
La fleur est déjà morte à peine est-elle éclose,
Même lorsque sa chair révèle un sang divin.

N'arrête pas l'oiseau qui traverse l'espace;
Ne dirige vers lui ni flèche ni filet
Et contente tes yeux de son ombre qui passe
Sans les lever au ciel où son aile volait;

N'écoute pas la voix qui te dit « Viens ». N'écoute
Ni le cri du torrent, ni l'appel du ruisseau;
Préfère au diamant le caillou de la route;
Hésite au carrefour et consulte l'écho.

Prends garde. Ne vêts pas ces couleurs éclatantes
Dont l'aspect fait grincer les dents de l'envieux;
Le marbre du palais, moins que le lin des tentes,
Rend les réveils légers et les sommeils heureux.

Aussi bien que les pleurs le rire fait des rides.
Ne dis jamais « Encore », et dis plutôt « Assez ».
Le Bonheur est un Dieu qui marche les mains vides
Et regarde la Vie avec des yeux baissés.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 07/01/2021

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Panneau


L'ingénieux Amour noue à mon cadre d'or
Sa couronne de fleurs et son carquois de flèches,
Car sa bouche, jadis, douce à mes lèvres fraîches,
Leur donna la couleur qui les empourpre encor.

Sous l'arceau du bosquet qui dresse son décor
A ma beauté, l'Automne avec ses feuilles sèches
Touche ma joue encor pareille au fard des pêches,
Et l'éclair de mes dents pourrait y mordre encor.

L'Amour, hélas! Vois-tu, ne fait pas d'immortelles;
La toile d'araignée ourdit à mes dentelles
Ses fils mystérieux qu'entrelace le temps,

Mais si la triste Mort m'effleura de son aile,
Le dieu qu'en sa jeunesse adora mon printemps
Me garde souriante et me voit toujours belle.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Stances


L'hirondelle légère et la rose qui penche
Ont frôlé tes cheveux et caressé ta main,
Et ta vie est venue à la colline blanche
Parce que tu suivais les routes du matin.

Entre; l'âtre t'accueille et la porte est ouverte;
La fraîcheur de la paix émane des murs blancs,
Et la vigne qui monte au toit est encor verte.
Entre; la maison douce est parée et t'attend;

Mais la douce maison qui regarde l'aurore
S'ouvre aussi sur le soir, sur l'ombre et sur la nuit;
La fleur se fanera que l'aube vit éclore;
Le pampre rougira, vert encore aujourd'hui.

Et tu verras saigner les feuilles et les roses;
L'aurore d'où tu viens mène au soir où tu vas,
Reste à l'âtre fidèle où la paix est éclose,
Ferme la porte lourde et ne la rouvre pas.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Le regret


Le feuillage jauni tremble aux branches lassées
Et la maison là-bas nous appelle au heurtoir,
Et côte à côte ainsi nous irons vers le soir
Où marchent devant nous nos heures enlacées.

Au reflet du cristal comme aux sources glacées,
Que le temps douloureux ou doux me fasse voir
Son rire à la fontaine ou sa ride au miroir,
Ton souvenir se mire à toutes mes pensées.

L'automne les disperse aux routes de la vie;
L'écorce se desquame et l'arbre s'exfolie
Et la ramure oscille au souffle qui l'émeut;

Et ses feuilles, au vent qui les parsème inertes,
Emportent, çà et là, chacune comme un peu
Du murmure amoindri de la cime déserte.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Le pas


L'Amour passe. Regarde, écoute, attends, espère;
Son pas mystérieux est partout en chemin
Et, visiteur du soir, du jour ou du matin,
Il sait ton seuil bruyant ou ton seuil solitaire.

Le voici. Devant lui, pour qu'il se désaltère,
Dispose sur la table où choisira sa main
La coupe de ta source ou l'outre de ton vin.
Il rira. Tu riras à ton tour pour lui plaire.

Dors en ses bras comme j'y dormis en pensant
Arrêter à jamais cet éternel Passant.
Il est debout déjà dans l'aube et toi tu dors,

Sans entendre tout bas se poser sur la dalle
Pour partir, et tandis que l'autre est nu encor,
L'un de ses pieds déjà chaussé de la sandale.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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La promenade


Je te donne cette heure; elle est à toi. Va-t'en.
Vis-la silencieuse et vis-la solitaire,
Et, pour un jour entier, sois à toi tout entière
Sans plus t'inquiéter de l'ombre où je t'attends.

Sois libre. Mon pas lourd, hélas! A trop souvent
Retardé ta jeunesse où tu marches légère
Dans le double sourire et la double lumière
De ce matin joyeux et de ton clair printemps.

Ce dur arbre tordu qui ressemble à ma vie
Abritera mon doute et ma mélancolie;
C'est là que j'attendrai venir le soir, heureux

Si le vent, pitoyable à mon songe morose,
Des fleurs que tu cueillis, hélas! Loin de mes yeux,
M'apporte le parfum et te laisse la rose.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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L'oisive


Ni tisseuse de lin, ni fileuse de laine...
La quenouille, le dé, l'aiguille ou le fuseau
Ne les sculpte aux parois de mon jeune tombeau,
Car ma vie en ses jours fut paresseuse et vaine.

Pour que ton souvenir me suive et se souvienne,
Lui faut-il le rouet, l'aiguille et le fuseau?
Pense au passé charmant où mon corps était beau...
Ni fileuse de lin, ni tisseuse de laine!

Non! Je n'ai pas ourdi mes oisives années,
Laborieusement, parmi leurs fleurs fanées;
Le vent les dispersa dès l'aurore, et, là-bas,

Regardes-en flotter, déjà presque invisibles,
Au fond de ta mémoire et à tes yeux ingrats,
Les souples fils errants qu'emporte l'air flexible.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Chrysilla


Lorsque l'heure viendra de la coupe remplie,
Déesse, épargne-moi de voir à mon chevet
Le temps tardif couper, sans pleurs et sans regret,
Le long fil importun d'une trop longue vie.

Arme plutôt l'Amour; Hélas! Il m'a haïe
Toujours et je sais trop que le cruel voudrait
Déjà que de mon coeur, à son suprême trait,
Coulât mon sang mortel sur la terre rougie.

Mais non! Que vers le soir en riant m'apparaisse,
Silencieuse, nue et belle, ma Jeunesse!
Qu'elle tienne une rose et l'effeuille dans l'eau;

J'écouterai l'adieu pleuré par la fontaine
Et, sans qu'il soit besoin de flèches ni de faulx,
Je fermerai les yeux pour la nuit souterraine.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Puella


Plains-moi, car je n'eus rien à donner à l'Amour,
Ni fleurs de mon Eté, ni fruits de mon Automne,
Et la terre où naquit mon destin sans couronne
N'a pas porté pour moi la rose ou l'épi lourd.

Les Fileuses qui font nos heures et nos jours
N'ont pas tissé non plus, pour que je la lui donne,
La tunique fertile où, naïve Pomone,
La vierge de ses seins sent mûrir le contour.

Je n'ai pu même offrir à ta divinité
La colombe de ma chétive nudité,
Car ma chair sans duvet n'eut pas tiédi ta main.

Amour! Tends-la au moins à l'obole fragile
Et prends cette médaille où, profil enfantin,
Mon visage anxieux sourit à fleur d'argile.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Le feu


Rentre. Je ne vois plus ton visage. Rentrons.
Il est trop tard déjà pour s'asseoir au perron
Où la mousse est humide et la pierre mouillée.
La serrure tend à nos mains sa clef rouillée;
La porte s'ouvrira toute grande pour nous
Avec un bruit d'accueil que le soir fait plus doux;
Plus tard le gond rétif et le loquet rebelle
Grinceraient, car toute demeure garde en elle,
Taciturne, invisible et qui vit en secret,
Une âme que l'on blesse ou que l'on satisfait.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 23/12/2020

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Epilogue


Tu viendras en un jour d'épreuve et d'amertume,
Lorsque monte dans l'âme un flot de désespoir,
A l'heure où dans l'azur sombre et profond du soir.
Une apparition d'étoiles se présume;

Tu viendras en courbant les herbes et les fleurs
Sous le poids de ta robe onduleuse et traînante;
Et nous irons tous deux vers l'aube consolante
Vers des ciels plus cléments et des soleils meilleurs;

[...]

Car tu viendras un jour, ainsi le veut le sort
Miséricordieux à qui souffre et qui pleure,
Oui tu viendras demain, aujourd'hui, dans une heure,
O divine Inconnue et tu seras la mort.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Extrait de: Apaisement (1886)

Ajoutée par Savinien le 19/12/2020

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L'énigme


Ses yeux sont prometteurs de délices uniques,
Et dans sa face exsangue et tentante sourit
L'implacable défi de lèvres ironiques
Dont la courbe ensorcèle et le baiser meurtrit.

Comme la Femme nue au seuil des Diaboliques
Se haussant vers l'oreille écouteuse que tend
Le Sphinx, qui sur son dos aux ailes granitiques
Assied en habit noir, monocle à l'oeil, Satan,

Elle ne s'en va pas murmurer aux Chimères
L'aveu qui mettrait fin à notre cécité,
Et garde à tout jamais sur ses lèvres amères
Le secret contenu de sa perversité.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Extrait de: Apaisement (1886)

Ajoutée par Savinien le 19/12/2020

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Idylle


C'était à ce moment de la fin des journées
Où le ciel attiédi de nocturnes pâleurs
Se mire aux bassins clairs endormis dans les fleurs;
A mes lèvres venaient les phrases ajournées,
Les supplications et les mots cajoleurs.

C'était un de ces soirs de rencontre et d'idylles
Où dans les bosquets verts on se met à genoux,
Où l'on échange à demi-voix et loin de tous
Les serments attendris et les propos futiles
Enhardis d'un regard clément des yeux plus doux.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Extrait de: Apaisement (1886)

Ajoutée par Savinien le 19/12/2020

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Nocturne


Le souffle lent du soir défleurit les lilas
Amoncelant au pied d'odorantes jonchées
De ces petites fleurs qui craquent sous mes pas.
Mon âme est douloureuse et mon coeur est bien las.

Sur la toiture, des colombes sont perchées
Attristant l'air du soir d'un long roucoulement;
Il tombe de leurs becs des plumes arrachées.
Il neige dans mon coeur des souffrances cachées.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Extrait de: Apaisement (1886)

Ajoutée par Savinien le 19/12/2020

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Aurore


Et celle qui parut à ton âme crédule,
La divine Attendue aux jours des longs effrois,
Offre sa lèvre en fleur à ta lèvre qui brûle.

Ses mains ont la douceur et les gestes adroits
Des anges bienfaisants qui ferment les paupières
Des beaux enfants couchés dans les berceaux étroits;

Ses yeux compatissants à toutes les prières
Ont la limpidité du saphir transparent,
Candeur de l'être jeune et des heures premières;

Dis lui bien les douleurs de ton âme, mourant
Du mal mystérieux de la vie importune,
D'être seule au milieu du monde indifférent.

Au fond du val l'étang miroite au clair de lune.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Extrait de: Apaisement (1886)

Ajoutée par Savinien le 19/12/2020

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Le mauvais soir


La nuit se fait sereine et douce
Et tendre comme mon serment;
Mes larmes tombent lentement
Sur cette main qui me repousse;

La nuit se fait douce et sereine...
Une étoile est au fond des cieux;
Puisses-tu lire dans mes yeux
L'amour que ta froideur refrène;

La nuit se fait douce et sereine
Et ma voix t'implore tout bas,
Par pitié, ne m'écarte pas
De ton geste orgueilleux de reine.

La nuit se fait sereine et douce,
La lune luit sur le chemin,
Mes larmes tombent sur la main,
La main chère qui me repousse.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 09/12/2013

 

Le trophée


Au fond d'un val lunaire, en des sites agrestes
Où glissent des rayons de féeriques clartés.
Les amoureux perdus en tendres apartés
Cherchent l'endroit propice à la langueur des siestes.

Avec l'inquiétude errante de leurs gestes,
Des lutins épiant les amants abrités
Font craquer doucement les rameaux écartés
D'où pleuvent la rosée et les baumes célestes.

Et la forêt bleuit sous le ciel argentin,
Et dans cette paresse et ce repos des choses
Les Belles aux yeux gris dorment lèvres mi-closes;

Les couples enlacés s'éveillent le matin,
Et s'en vont, emportant dans leurs bras, pour trophées,
Des bouquets embaumés du vol divin des fées.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 09/12/2013

 

Nocturne


Le souffle lent du soir défleurit les lilas
Amoncelant au pied d'odorantes jonchées
De ces petites fleurs qui craquent sous mes pas.

Mon âme est douloureuse et mon coeur est très las.

Sur la toiture, des colombes sont perchées
Attristant l'air du soir d'un long roucoulement;
Il tombe de leurs becs des plumes arrachées.

Il neige dans mon coeur des souffrances cachées.

Au bassin, le jet d'eau rejaillit tristement
Ridant l'onde qui dort de cercles concentriques,
Et les plantes du bord ont un tressaillement.

Au coeur les souvenirs pleurent confusément.

Voici la nuit qui vient et ses folles paniques:
Le vent ne souffle plus, le ramier s'est enfui,
Le jet d'eau se lamente en des plaintes rythmiques,

Et tes yeux grands ouverts me suivent dans la nuit.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 09/12/2013

 

La voix


Je ne veux de personne auprès de ma tristesse
Ni même ton cher pas et ton visage aimé,
Ni ta main indolente et qui d'un doigt caresse
Le ruban paresseux et le livre fermé.

Laissez-moi. Que ma porte aujourd'hui reste close;
N'ouvrez pas ma fenêtre au vent frais du matin;
Mon coeur est aujourd'hui misérable et morose
Et tout me paraît sombre et tout me semble vain.

Ma tristesse me vient de plus loin que moi-même,
Elle m'est étrangère et ne m'appartient pas,
Et tout homme, qu'il chante ou qu'il rie ou qu'il aime,
A son heure l'entend qui lui parle tout bas.

Et quelque chose alors se remue et s'éveille,
S'agite, se répand et se lamente en lui,
A cette sourde voix qui lui dit à l'oreille,
Que la fleur de la vie est cendre dans son fruit.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 19/05/2013

 

L'ombre nue


J'ai fait de mon Amour cette blanche statue.
Regarde-la. Elle est debout, pensive et nue,
Au milieu du bassin où la mire son eau
Qui l'entoure d'un double et symbolique anneau
De pierre invariable et de cristal fidèle.
La colombe en passant la frôle de son aile,
Car l'Amour est vivant en ce marbre veiné
Qui de son long regard que rien n'a détourné,
Contemple, autour de lui dans l'eau proche apparue,
La fraîcheur de son ombre humide, vaine et nue.


Par: Henri François Joseph de Régnier

Ajoutée par Savinien le 28/12/2011